mercredi 7 juin 2017

Inédit : la moitié du chapitre "Tout vient à point…"

Comme promis puisqu'on a passé les 1000 € de dons sur ma cagnotte helloasso, je publie ici la moitié du chapitre 5 : "tout vient à point..." qui se déroule en Soule. Il met en lumière deux personnages secondaires du premier tome. On va dire que c'est la partie "romanesque" du livre. 

Pourquoi je ne publie ici que la moitié du chapitre? Tout simplement parce que je ne peux pas le publier dans son intégralité. Trop d'éléments y sont divulgués et ce serait donc gâcher le suspense de mes lecteurs.

A NOTER : Je ne l'ai pas encore relu ni modifié (je prends une semaine de congés pour ça à la fin du mois), donc soyez indulgents, merci ^^. 

Tout vient à point…

Elle en avait rêvé depuis des mois, des années et même deux décennies si on comptait la doucereuse époque de la maternelle. Bien qu’à cet âge-là, le concept même de l’Amour – tel qu’elle le vivait à ce moment précis de sa courte vie – lui ait été complètement étranger. Tout au plus pouvait-on parler de sentiments amicaux exacerbés. Non, à bien y réfléchir, le véritable sentiment amoureux pour Beñat avait commencé à l’étreindre lorsqu’il était passé en sixième et elle en CM2. Elle était restée une année de plus à l’école communale de Libarrenx, tandis que lui entrait au collège de Mauléon-
Licharre. Ce fut la première fois qu’elle ressentit cette forme de vide, de manque obsédant qui vous possède corps et âme lorsque l’être aimé s’éloigne des yeux et du cœur. Ils ne se voyaient même plus les soirs, après l’école, ou les week-ends comme avant. Désormais assommé de devoirs, le garçon, pas très studieux de nature, avait vu son temps libre se réduire comme peau de chagrin. Et dès qu’il avait expédié ses rébarbatifs exercices de maths et ses leçons d’histoire ou d’anglais dont il ne voyait pas du tout l’intérêt, il devait rejoindre son père à la bergerie afin de lui donner un coup de main avec les brebis. C’était presque "un homme" à présent. Il fallait qu’il mette un peu la main à la pâte s’il voulait pouvoir reprendre l’exploitation agricole lorsqu’il serait en âge, ce dont il n’avait évidemment pas vraiment envie. Mais il n’avait pas eu le choix : le paternel taciturne et buriné avait la main leste sur les animaux comme sur ses propres enfants.

Xantiana ne le revit pas davantage durant les années collège : un an de différence, c’est fou comme ça compte, à l’adolescence. Elle se souvenait parfaitement qu’il l’avait même rudoyée la première et unique fois où elle avait essayé de s’incruster dans son groupe de camarades. En outre, la place était déjà prise par une, voire des filles un peu plus formées et moins farouches qu’elle. Se sentir repoussée ainsi l’avait découragée et meurtrie jusqu’au lycée. Elle avait alors essayé de l’oublier dans les bras d’autres garçons. Elle avait presque fini par y arriver avec Pascal Hastoy, de cinq ans son aîné. Mais là encore, elle fut déçue par la lâcheté de la gent masculine. Pascal n’étant pas un jeune homme très réputé pour le sérieux de ses relations amoureuses, avait essayé de la refourguer à son meilleur ami lorsqu’il en avait eu marre d’elle, c’est-à- dire au bout de quelques semaines de bécotages insipides, de mains malhabiles dans le soutif et de vaines tentatives de l’entraîner dans son plumard. Son meilleur ami, qui n’était autre que l’abominable thon décérébré répondant au nom de Patrice Bodin. Ce même triste personnage aujourd’hui soupçonné d’être un cruel tueur en série, auteur d’une vingtaine de meurtres dans la capitale souletine l’année passée ; l’assassin présumé du précédent président des Français, qui devait maintenant croupir lamentablement quelque part en taule, ou dans un hôpital psychiatrique. C’était tout ce qu’il méritait, tout ce qu’elle souhaitait à ce monstre, qu’on aurait dû diagnostiquer comme fou dangereux bien plus tôt. Il y avait pourtant des signes avant-coureurs…
Puis elle songea qu'une loi permettant d'enfermer préventivement les gens pour délit de faciès ou comportement excentrique n'était peut-être pas une si bonne idée, après tout. Les prisons étaient déjà assez surchargées... 
Enfin bref, elle avait évidemment renvoyé l’infortuné Bodin paître comme un malpropre.

Puis vint l’année du baccalauréat. Tandis que Beñat entamait sa seconde année de BTS électromécanique – désignant du coup son frère cadet comme seul héritier de la ferme familiale, celle que ses amis surnommaient affectueusement Xanti se préparait à partir étudier la gestion et la comptabilité à Pau. Elle était devenue une jolie brunette bien appétissante, quoi que fluette et timide. Ce sont peut-être ces deux dernières caractéristiques qui avaient empêché le jeune séducteur de la remarquer parmi la meute de supporters féminines qui venaient l’applaudir, lui, la coqueluche du SAM Rugby, les dimanches après-midi au stade Marius Rodrigo.

Et puis quelques temps plus tard, probablement pistonné par l’entraîneur de l’équipe – bien qu’il le niât farouchement –, Beñat, toujours célibataire endurci, était entré en tant que mécanicien chez Antton Aguer Industries. La chance sourit enfin à Xantiana, lorsqu’elle apprit qu’un poste de comptable se libérait dans la même entreprise. Elle se débrouilla alors pour se faire recruter avant même la fin de l’année scolaire et l’obtention de son diplôme. Elle s’était ensuite liée d’amitié avec Maddalen Etchegaray, la responsable du service expédition, qui traînait régulièrement son haleine trop mentholée pour être honnête et sa vulgarité assumée à la suite de celui qu’on appelait alors – dans son dos – "le Casanova de l’atelier mécanique". Elle intégra sans difficulté le petit groupe qui se retrouvait en dehors du travail, certains soirs de la semaine et, d’une manière générale, tous les week-ends.
Enfin, le chemin vers le cœur du jeune homme lui était tout tracé ! Malheureusement, tout fut temporairement compromis avec l’arrivée de Mathilde Joubert. Cette rouquine incendiaire originaire de Bourgogne avait fait tourner la tête à plus d’un homme dans l’usine, mais aussi partout où elle avait traîné ses guêtres en Soule. Xantiana n’arrivait pas à être jalouse, car la jeune femme, fraîchement débarquée à Mauléon s’était vite révélée être une "âme pure", une vraie amie, altruiste et désintéressée. Mathilde avait tout de suite deviné le profond mal de vivre de Xanti, son amour clandestin et clairement à sens unique pour le beau Beñat. 
Ce dernier, malgré un nombre incalculable de"râteaux" essuyés, continuait jour après jour de trouver Mathilde à son goût et potentiellement accessible. Jusqu’à ce que Patrice Bodin ne la tue, elle et sa collègue Maddalen, un soir maudit au cours duquel elle avait préféré rester à s’enivrer avec Beñat et ses amis, lors du concert du dimanche, à Müsikaren Egüna, plutôt que d’accompagner Maddalen chez son amie.

Xantiana avait souffert de la disparition tragique des deux filles. Elle avait pleuré Mathilde de toutes ses forces, avait même maudit son meurtrier sur plusieurs générations, comme le lui avait appris sa grand-mère un peu "sorcière". Mais le douloureux épisode avait eu un effet bénéfique : il l’avait inéluctablement rapprochée de Beñat, le jour de l'enterrement de Maddalen. Elle ne sut jamais s’il avait eu pitié d’elle ce jour-là, s’il avait simplement voulu la consoler lorsqu’il l’avait prise dans ses bras et qu’il avait fini par l’embrasser, ou si la mort de Mathilde lui avait enfin ouvert les yeux quant aux sentiments qu’elle éprouvait à son égard.
Cela lui posait un douloureux cas de conscience, qu’elle tentait vainement de refréner, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de remercier le malheureux hasard – ou sa bonne étoile – d’avoir fait en sorte que Mathilde ne soit plus jamais un obstacle.

*****

Beñat, quant à lui, n’avait jamais vraiment fait attention à Xantiana avant la mort subite de Mathilde. Certes, il la connaissait depuis sa plus tendre enfance, ils étaient du même village également, mais il n’avait jamais trouvé la jeune femme très séduisante. Ou du moins : il ne s’était jamais attardé sur son cas, tout simplement parce que son aspect physique – s’il était loin d’être repoussant – n’avait pas l’exotisme affriolant qu’il recherchait d’ordinaire chez une femme. Elle avait ce qu’on a coutume d’appeler aujourd’hui "le type basque" : l’œil sombre, le cheveu épais et corbeau, la peau mate, et la taille relativement petite, autant de caractéristiques témoins de lointaines origines bohémiennes, oubliées avec le temps. Un physique somme toute assez classique en Soule. En outre, son caractère en apparence distant et réservé ne donnait pas spécialement envie de faire le premier pas.
Il se rappelait n’avoir pas été très tendre avec elle, pendant l’ingrate période de l’adolescence. Il l’avait sciemment ignorée pendant des années, à vrai dire, et l’avait même carrément trouvée insignifiante, en comparaison avec Mathilde. Mais la voir ainsi écrasée de chagrin lui avait donné envie de la recueillir et de la protéger comme un pauvre petit moineau blessé qui aurait percuté une voiture sur l’autoroute. Et ce sentiment lui avait fait découvrir un nouvel aspect de sa propre personnalité, une espèce de sensibilité exacerbée qu’il avait auparavant toujours considérée comme une faiblesse et qu’il avait pris soin d’étouffer, tout au long de sa vie.

Ce n’était pas de l’amour à proprement parler, mais juste une impression inconnue qu’il apprenait maintenant à apprivoiser, aux côtés de Xantiana. Une sensation pesante et en même temps tellement libératrice, qu’il n’avait encore jamais ressentie avec aucune autre femme. Oui, c’était cela : en sa présence, il se sentait enfin libéré du masque d’acier qu’il s’était patiemment forgé pour se donner une contenance en société, cette apparence artificielle de sportif rigolard un brin obsédé et prompt à faire fondre les filles. Enfin, pas toutes, seulement les plus superficielles, mais elles étaient suffisamment nombreuses et "affamées" pour qu’il puisse s’en contenter. Maintenant, il pouvait enfin être lui-même sans en éprouver de honte. 
C’est pour cette raison qu’il resta avec elle, dans un premier temps. Et puis, peu à peu, il avait fini par trouver cette relation de couple assez confortable et gratifiante. Elle lui conférait un semblant de standing social plutôt appréciable, une certaine crédibilité d’adulte rangé dont il avait toujours rêvé et qui, enfin, s’offrait à lui.
Ce fut à peu près à ce moment-là qu’il réalisa que Xanti ferait une épouse parfaite pour lui, doublée d’une excellente mère pour la nombreuse descendance qu’il comptait lui donner. Elle-même semblait aux anges. Elle irradiait littéralement de bonheur à la perspective de cet avenir prometteur et se donnait à son homme sans compter. Elle aussi rêvait d’une vie stable et d’une famille nombreuse, même si le monde partait en sucette, et que plus personne n’était en sécurité, désormais.
Elle était mue par un impérieux instinct de survie qui ne faisait qu’accroître son désir de se reproduire. Elle se sentait désormais capable de tout réussir, peu importaient les difficultés qu’elle pourrait rencontrer à l’avenir, tant qu’elle aurait Beñat à ses côtés.

Et bien souvent, c’est dans des instants pareils qu’on s’attend le moins à devoir endurer la frustration et le ressentiment. C’est pourtant exactement ce qui tomba sur le jeune couple, quelques mois plus tard, lorsque le gynécologue de la polyclinique d'Oloron Sainte Marie apprit à Xantiana qu’elle ne pourrait jamais avoir d’enfants.

*****

A l'heure où j'écris ces lignes, il reste encore 370€ avant d'atteindre le plafond de ma cagnotte. Allez, ça peut être plié avant ce week-end. On y va => https://www.helloasso.com/associations/astobelarra-le-grand-chardon/collectes/aidez-nous-a-sortir-l-infection-t2-pandemie-par-etienne-h-boyer 
Merci d'avance ^^

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire