lundi 17 décembre 2007

Mauvais berger!

Nanette ou "La Fernande",
personnage central
de "Mauvais Berger!"
"Mauvais berger!", c'est le titre de la nouvelle autobiographique illustrée que je suis en train de finaliser, à partir des notes publiées l'an dernier sur mon blog XiberoLand ici, ici, et ...

L'intrigue restera la même, puisque c'est une histoire vraie, mais vue de mon point de vue entièrement subjectif (au sens où les protagonistes de l'histoire auront certainement un point de vue différent du mien). Depuis, il y a eu -et aura encore- quelques rajouts de bribes éparses d'ici sa publication officielle, qui non seulement étofferont un peu le tout, mais surtout donneront à mon histoire un cadre "naturaliste" un peu plus en phase avec le ton que je donne au récit, et ma façon de voir le monde aujourd'hui.

Mais le plus important, dans tout ça, c'est que ce "livre" - qui n'est dans un premier temps pas destiné à la vente (et pour cause : je n'ai pas réfléchi sérieusement à un quelconque mode de commercialisation ou de distribution...) - contiendra des illustrations qui sont actuellement en cours d'élaboration.

Pour vos beaux yeux, et pour vous faire patienter, voici mon personnage principal "Nanette." La caricature est plus vraie que nature! Ceux qui la connaissent comme je l'ai connue n'en douteront pas!

Je pense que je rajouterai aussi quelques pages de photographies "d'époque", pour le blues, et pour ancrer le récit dans la réalité...

samedi 17 mars 2007

LE BLUES DE L'ADS

De décembre 1994 à septembre 1997, juste avant notre arrivée en Soule, j'étais ADS (agent de sécurité) à Bordeaux. Je raconte dans ce texte ce qui a été ma véritable première expérience professionnelle (de plus d'un mois, et sans compter le service national). Là encore, je me suis attaché à rester collé à la réalité. Sachant que les souvenirs s'altèrent avec le temps... (Je précise que le Etienne Boyer de l'époque n'est pas celui d'aujourd'hui, et que toutes les exactions perpétrées à l'époque sont à classer sur le compte des erreurs de jeunesse...)

Un emploi tout trouvé

Au sortir du service militaire, que j’ai effectué en tant que gendarme auxiliaire (en volontariat service long de 18 mois) à la brigade territoriale de Saujon, en Charente Maritime, je me suis retrouvé en décembre 1994 propulsé sur le marché du travail avec seulement un bac littéraire, et une lettre de félicitations de la gendarmerie nationale ! C’est la carte de visite en or 18 carats qui me permettra de présenter un CV amélioré à plusieurs agences de sécurité bordelaises. J’ai jeté mon dévolu sur la mégalopole du sud-ouest, car -outre le fait que je rejoignais ma compagne, alors étudiante en maîtrise de lettres- je savais que j’aurais plus de chances de trouver un emploi à Bordeaux, où il y avait bien plus de choix que dans mon bled crottouillard originel, Cognac, plutôt porté sur la gnôle et tout ce qui s’y rapporte de près ou de loin. Et puis c’est un véritable calvaire, pour trouver du boulot là bas : on ne vous embauche pas dans le milieu agricole si vous n’avez pas d’expérience. Quant aux usines, vous n’avez aucune chance d’être pris si vous n’avez pas déjà vos entrées…

Je n’avais à l’époque pas du tout l’intention de faire carrière dans la sécurité, mais comme je ne savais rien faire d’autre que surveiller, et faire des rondes de nuit, et que ma carrure imposante était assez dissuasive, l’orientation temporaire du bonhomme fut naturellement toute trouvée.

J’ai commencé par un contrat en temps partiel dans une petite boite du nom de Protectas. J’ai dû y faire 3 ou 4 jours en tout. Ma mission était de faire le planton devant le sas d’entrée du Crédit Mutuel de Villenave d’Ornon. On m’avait fourni un uniforme vieillot bleu marine, avec pantalon à pinces, cravate rayée de rouge aux armes de la boite, chemise blanche à épaulettes, et même une casquette genre agent de villes des années 80 (ou facteur), que je n’ai jamais mise ! J’avais des vacations de 12 heures. Aucune consigne à part rester devant la porte à regarder les gens passer avec un air sévère, du style «’tention, je vous ai à l’œil ! ». Ah ça, je peux avoir l’air pas commode quand je veux… Je devais être assez dissuasif, car je n’ai jamais vu de hold-up le temps de ce premier contrat!

La cité du vice

Au bout d’une semaine, j’étais embauché en CDI (mais en contrat 120 heures) dans une boite plus grosse nommée SPS. La casquette ridicule en moins, et mise à part la cravate, rayée de vert bouteille, l’uniforme était le même. Promotion oblige, je ne faisais plus le planton debout devant une banque, mais assis au standard d’une grande agence d’assurance (les AGF, à Bordeaux-Mériadeck). En fait, je ne travaillais que lorsque les gens normaux ne travaillaient pas… C’est à dire les nuits, dimanches, et jours fériés… Avec toujours des vacations de 12 heures, quatre jours par semaines.

Outre de passer des appels en début de soirée, et en début de matinée, j’étais chargé de contrôler les accès au site (par le biais d’interphones, ou de caméras) de surveiller les abords de l’esplanade Charles de Gaulle (où était implanté le bâtiment, mais sans pouvoir en sortir), lieu de tous les vices, ou sévissait la nuit une faune à laquelle on n’aurait pas laissé nos enfants à garder en baby-sitting. Notre poste était situé au rez-de-chaussée, et était entouré de grandes baies vitrées, si bien que nous étions visibles de l’extérieur. Je me souviens d’une nuit de brouillard par laquelle un rôdeur de la nuit s’est approché de l’entrée (fermée à clés) et a commencé à se masturber devant moi… J’ai feint de l’ignorer, et me suis tourné de l’autre côté, mais le petit vicelard n’a eu qu’à faire quelques pas de plus pour se replacer en face de moi, m’exhibant alors son organe blanchâtre et mollasson. Je me souviens avoir appelé l’agence, afin qu’on m’envoie une patrouille de police. Je me disais que ce si cet affreux individu était capable de faire ça à un grand balèze comme moi, il devait être capable de faire bien pire à une petite fille… Mais le permanent de l’agence, visiblement courroucé que je le dérange pour si peu en pleine lecture d'Entrevue, m’a dit qu’il ne pouvait rien y faire et que je n’avais qu’à attendre… Qu’il termine sa besogne !

Ce que je me suis forcé à faire, dégoûté de servir d’objet sexuel à pareil déviant!

Conscience professionnelle

Bien sûr, je devais être toujours éveillé pour accomplir la tâche, d’autant que toutes les deux heures, je devais accomplir une ronde complexe à travers la bâtisse.

Impossible d’y couper, car c’est là où le bât blesse : le surveillant était surveillé ! Je devais passer une genre de pistolet sur des barrettes magnétiques (appelées pointeaux) disséminées dans toute la boutique, puis sortir les statistiques sur imprimante à l’issue de la ronde. Pas moyen de tirer au cul, donc ! Il m’arrivait pourtant parfois de m’endormir sur mon poste, au risque de me faire prendre sur le fait par un contrôleur, et de prendre un blâme.

Le contrôleur, c’était le type (généralement un militaire à la retraite) qui faisait exactement le même job que vous, mais dont le rôle était de surveiller les surveillants ! Je ne me suis jamais fait prendre, car je ne dormais que d’un œil… Et comme je suis un excellent acteur, j’arrivais toujours à avoir l’air éveillé, même si je sortais d’un sommeil profond ! Mais nous rivalisions tous d’astuces pour tromper nos employeurs… Chacun avait son propre truc. Un de mes collègues, qui faisait ce job la nuit -mais était paysagiste le jour- avait trouvé une très bonne parade : il y avait -dans les toilettes au rez-de-chaussée de la tour- un grand placard technique vide, qui contournait le conduit de l’ascenseur, et dont nous seuls avions la clé. Le petit malin y avait installé un lit picot (vous savez, le lit pliable de l’armée, en toile kaki) sur lequel il allait régulièrement piquer son petit roupillon. Et si jamais le contrôleur arrivait, il pouvait toujours prétexter qu’il était aux toilettes !

Plus tard, notre employeur qui n’utilisait plus de contrôleurs (trop chers), avait trouvé une solution pour nous forcer à rester éveillés… Il nous avait équipés d’un système de bip « homme mort », dont l’alarme infernale se mettait en route dès que nous ne bougions plus. Si par hasard nous laissions sonner plus d’une minute, l’engin envoyait un signal radio au poste de sécurité de l’entreprise, qui nous envoyait un intervenant, voire la police… Même assis, nous étions obligés de remuer toutes les deux minutes, afin d’acquitter l’alarme…

Un outil certes sécurisant, mais profondément agaçant au bout de quelques heures ! Mais là encore, nous avions vite trouvé la parade : posé sur un ventilateur rotatif, le bip était suffisamment sollicité de manière aléatoire pour ne pas se mettre en marche intempestivement.

Aux frontières du réel

Le bâtiment des AGF comportait deux tours de huit étages, plus un sous sol commun sur trois étages. Tandis que tout le complexe servait de QG aux AGF, la deuxième tour abritait les locaux du Conseil général de la Gironde. Avec le recul, j’associe une couleur spécifique à chaque partie du bâtiment. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en ai aucune idée, d’autant que je ne suis pas sûr que ces locaux aient vraiment été décorés de ces couleurs précises…

Bref, on trouvait au premier sous-sol (à dominante bleue) les bureaux de la direction, la bibliothèque et le CE, ainsi que le réfectoire, le self-service et les cuisines. Le second sous sol servait de parking sous-terrain privé (donc de couleur noire) aux salariés de l’entreprise, tandis que le troisième sous sol (tirant sur les jaunes et verts pâles) servait d’archives et de bloc technique. C’est là que se trouvaient tous les organes de sécurité du site. (A ce propos, je n'ai jamais bien compris l'intérêt d'un service de sécurité aussi développé dans cette entreprise, où il n'y avait strictement rien d'intéressant à voler ou à refourguer.). Ce building pouvait facilement, à l’échelle humaine, passer pour un vieil hôpital abandonné, et il n’était pas rare que, sous l’effet de la fatigue cumulée, l’imagination nous fasse percevoir des choses n’existant que dans nos esprits. Un peu comme l’hôtel hanté du film « the Shining » avec Jack Nicholson, adapté du roman de Stephen King. Il était parcouru d’innombrables couloirs mal éclairés où serpentaient d’immenses gaines de ventilation cliquetantes, de larges faux plafonds bruissants, ou de profonds placards techniques ronronnants qui pouvaient servir comme autant de cachettes à n’importe quel cambrioleur, tueur en série, ou mutant dégénéré…

Pour tromper le sommeil, il m’arrivait de dessiner, lire des romans policiers de Patricia Cornwell, des bédés que j’allais emprunter dans la bibliothèque du CE des AGF (par ailleurs très bien fournie), ou carrément (et surtout dans les derniers temps) de déserter mon poste pour me réfugier dans le bureau d’un des directeurs, où trônait une télévision. J’y regardais les séries de M6, et notamment les fameux XFiles avec les célèbres agents du FBI Mulder et Scully. Je ne vous raconte pas les frayeurs que je me suis causées aux AGF grâce à ce feuilleton… De quoi en avoir les cheveux dressés sur la tête et faire caca culotte !

Désobéissances et autres indélicatesses

D’ailleurs à ce propos, j’ai toujours eu un faible pour les céréales pétogènes… Ce qui fait qu’au bout de 6-7 heures, mes intestins se gonflaient de flatulences ignoblement nauséabondes que j’expulsais violemment - et comme si de rien n’était - sur le fauteuil du standard. Je ne vous décris pas l’odeur de l’assise au petit matin… La standardiste en journée devait certainement apprécier mon petit cadeau à sa juste valeur ! Or, un matin vers une heure, où j’étais un peu moins vigilant sur les gargouillis de mes intestins que d’habitude (ou alors j’étais trop confiant en mes sphincters ?), j’ai dû appeler en urgence celle qui a (quand même) fini par devenir mon épouse, car il me fallait un autre slip et un autre pantalon d’uniforme. Et bien vous le croirez ou non, mais elle a fait les 30 bornes qui nous séparaient de nuit pour me tirer de ce mauvais prout ! Si ce n’est pas une preuve d’amour romantique, je ne sais pas ce que c’est !
En tout cas, je n’étais pas fier de l’exploit sur le moment, d’autant que j’ai eu un mal de chien à ravoir le fauteuil de la standardiste, qui lui aussi, avait subit quelques dommages collatéraux. « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », dit le proverbe ; c’est aussi vrai que « c’est en pétant qu’on devient pétomane » !

*

Nous avions interdiction formelle d’utiliser les ascenseurs. Mais nous n’étions pas assez cons pour nous taper tous les étages à pieds quatre ou cinq fois dans la nuit… Et puis franchement, que risquions-nous ? En cas de panne d’électricité, il y avait un énorme onduleur tout au fond du sous-sol, qui n’aurait pas manqué de se mettre en route, le cas échéant.

*

Le dernier étage des deux tours donnait sur une terrasse où bien sûr, nous n’avions pas à aller. Mais je me suis vite découvert une passion pour les hauteurs. D’abord parce que du ciel, on voit mieux ce qui se passe au sol, tout en étant soi-même invisible. Ensuite, parce que je prenais un immense plaisir à me faire monter l’adrénaline en marchant sur les grilles au dessus du vide. Je m’y sentais un peu comme Leonardo DiCaprio sur la passerelle du « Titanic » : j’étais le roi du monde, sauf que mon paquebot ne pouvait pas couler, lui !

*

Pendant mes douze heures en poste, il m’arrivait souvent d’être pris de fringale. Et je n’ai jamais su résister à l’appel du chocolat… La période de fin d’année faisait mon bonheur : il n’y avait pas un bureau qui ne recelait de boites de chocolats ! Je picorais donc allègrement de gauche à droite et vice versa tout au long de mes rondes, dont je ne ratais pas un pointeau, du coup ! Il m’arrivait parfois de faucher un Cornetto ou un citron givré dans le freezer du self-service. Un de mes collègues allait carrément piquer des pâtes de fruits dans la réserve ! Je l’imitais, puisque l’exemple m’avait été montré par un ancien…

Un nouveau poste

Comme je ne pouvais pas être sans arrêt sur ce poste là, la direction de SPS m'a envoyé faire l'agent de sécurité dans un autre bâtiment, toujours dans le même quartier mal famé la nuit. Cette fois ci, je me retrouvais dans un gros cube de verre qui abritait les bureaux de l'UAP. Une construction aux lignes assez moderne mais extrêmement torturée à l'intérieur, qui me faisait bigrement penser au labyrinthe des légendes grecques. J'ai mis un temps fou à m'y repérer. Mais au final, nous devions être les seuls à connaître les lieux du sous-sol au plafond.
Sur les deux sites, nous avions un responsable de sécurité (différent) qui nous avait fourni d'imbuvables et épais classeurs de consignes, que nous ne consultions qu'en cas de force majeure. Si bien que la boite aurait largement eu le temps de s'écrouler sur elle même en cas de sinistre, d'attaque terroriste, de guerre nucléaire, ou d'une simple entorse en tombant dans les escaliers, dans l'exercice de ses fonctions… Et ne rigolez pas : ça m'est arrivé ! J'ai dû ensuite me traîner en geignant comme un vieux soldat blessé jusqu'au poste de sécurité. Là aussi j'ai trouvé la parade, en achetant une bonne vieille paire de rangers avec fermetures éclair, comme en portent nos amis sapeurs pompiers. Plus moyen de se tordre la malléole avec ça aux pieds !

*

Je râlais souvent après les consignes de sécurité de l'UAP qui prévoyaient que nous sortions les poubelles le dimanche soir ! Mais mes responsables d'agence m'ont fait passer la pilule en me certifiant que cela faisait partie de mes attributions. En effet, les poubelles peuvent prendre feu, et c'est dans ce cadre préventif qu'on me demandait de le faire… Mouais…

Un monde sans pitié

A l'UAP aussi, il pouvait se passer des choses étranges. Un jour, au hasard d'une ronde, mon œil a été attiré par une drôle de bestiole dans le parking sous-terrain. Une petite araignée lisse et noire avec des points oranges sur le dos était en train de tisser sa toile au raz du sol. Le look de la bête me disait bien quelque chose, mais impossible de me rappeler du nom précis. En regardant dans un bouquin d'entomologie de mon frangin (passionné par les arachnides) j'ai frissonné : Une veuve noire ici, en plein Bordeaux ? Et pourquoi pas une «mygale dans le Yucca »?
Je savais néanmoins qu'on pouvait trouver une variété de veuve noire européenne (aussi appelée Malmignatte) dans les Pyrénées Orientales et en Corse, mais en plein sud-ouest, ma trouvaille m'a paru un brin tirée par les cheveux ! Aussi, j'étais désireux de tirer l'affaire au clair. Je suis retourné au travail avec un pot de confiture vide, histoire de capturer le monstre… Qui avait évidemment détalé dans l'intervalle. Par acquis de conscience, j'ai tout de même fait un rapport au responsable de la sécurité, au cas où la petite bête en aurait piqué une plus grande. Mon texte a dû faire le tour de la boite, tant les bordelais sont d'indécrottables incrédules…
Mais quelques jours après, je me suis aperçu que la cuisine et le réfectoire du bâtiment étaient infestés de petits coléoptères nocturnes. Ça grouillait littéralement sous les pieds. Au petit matin bien sûr, la vermine disparaissait comme par enchantement. Le responsable de la sécurité commençait à penser que je voulais jouer avec ses nerfs avec mes rapports à la noix. Mais comme je suis un gars obstiné, je suis revenu avec mon éternel pot de confiture vide, et lui ai patiemment récolté de quoi faire une petite fricassée. J'ai placé mon pot rempli de bébêtes dans le freezer du poste de sécurité, à l'attention du bonhomme. Preuve à l'appui, il a dû convenir que j'avais raison, puisqu'il a fait intervenir une société spécialisée dans le nettoyage de nuisibles.
Un autre jour, toujours pendant ma ronde de nuit, je tombais nez à nez avec un clochard qui dormait à l'extérieur du building, derrière une porte vitrée, dans un recoin vaguement abrité du froid et du vent. Dans mon rapport, je signalais sa présence, et interrogeais le client sur son éventuelle responsabilité, dans le cas où on retrouverait un matin le pauvre bougre congelé sur la terrasse.

Dérapages contrôlés

Je ne me suis jamais autant emmerdé qu'à l'UAP. Alors pour passer le temps, j'emportais mon pot d'encre de chine et mes feutres, afin de m'entraîner à dessiner. Je crois bien que c'est pendant ces années que j'ai le plus progressé. Je laissais régulièrement mes chefs-d'œuvre sur la console du standard, à l'attention de mon épouse qui officiait dans la boite à ce poste en journée, histoire de la détendre un peu.
Un jour, j'ai été convoqué (ainsi que les collègues que je relevais) à l'agence de SPS par mes supérieurs hiérarchiques directs, messieurs T., S. et D., tous trois militaires à la retraite (ça ne s'invente pas…).
Il semble que les quatre pneus neufs d'un véhicule commercial de l'UAP (une Renault 19 blanche, si je me souviens bien) avaient été échangés pendant le week-end par des vieux pneus usagés. A notre insu, le responsable de sécurité du site avait fait sa petite enquête, qui avait aboutit à ma culpabilité certaine ! Tout simplement parce que le dérouleur de tissus des WC jouxtant le poste de sécurité était noir « de cambouis » ! Sauf qu'à l'époque, j'avais une Citroën deux-chevaux, sur laquelle les fameux pneus ne pouvaient bien sûr être montés.
« Et comment donc expliquez-vous ces traces noires, sur l'essuie-mains, hein ?»
Tout simplement en produisant devant leurs yeux ébahis mes affaires de dessin et mes derniers croquis… Coup de bol pour moi, j'avais encore de l'encre de chine sur les doigts. Je n'ai pas eu de blâme, mais l'affaire avait passablement émoussé la confiance du client. Nous avons tous été recasés sur d'autres sites… Ce qui tombait à pic, car je commençais à en avoir marre de l'UAP et de ses insectes envahissants!

*

Une autre fois, je ne me rappelle plus à quelle occasion, monsieur D. voulait me voir de toute urgence à telle heure dans son bureau. Il est tombé sur mon répondeur, a laissé son message, mais à mal raccroché son combiné. Ce qui fait que tout le reste de sa conversation avec monsieur T. s'est trouvée de fait enregistrée à son insu. Trois bonnes minutes de bande durant laquelle il me traitait de con, disant qu'il allait « m'en faire baver » , etc.
Je suis donc allé au rendez-vous fixé avec une copie de l'enregistrement, que j'ai posée sur le bureau de l'intéressé, avant qu'il ne puisse commencer son laïus. « Assurez-vous d'avoir bien raccroché, avant d'insulter vos employés entre vous » , lui ai-je fait, avec ce sourire de traviole dont j'ai le secret. Du coup, tout gêné, et souriant jaune, le bonhomme m'a laissé repartir chez moi sans m'engueuler… Mais quelques jours plus tard, SPS perdait le marché des AGF au profit d'une entreprise montante nommée Protectas SDC. Les quatre salariés qui étaient rattachés au site furent rachetés à cette occasion… Et ça tombait à pic, parce que je commençais à en avoir marre de SPS et de ce minable contrat de 120 heures par mois.

Aux frontières du réel, tome 2

J'oubliais de dire qu'à la grande époque SPS, j'ai fait le gardien dans une immense usine de produits chimiques destinés à la fabrication de médicaments, située entre le pont d'Aquitaine et le pont de la Dordogne. J'étais affecté au poste de garde, où je devais gérer les entrées et les sorties du personnel et des visiteurs au moyen de consignes strictes, sans passe-droit, et surtout complètement ubuesques. Par exemple, si un employé n'avait pas son badge d'accès, je devais lui refuser l'entrée… On fabriquait -entre autre- des psychotropes dans cette entreprise. C'était donc une zone sensible, avec laquelle il ne fallait pas rigoler ! La nuit, nous vivions constamment avec la peur de tomber sur une horde de drogués en manque, prêts à nous égorger pour un pauvre cachet de substitut !

*

D'ailleurs, une nuit, je me suis fait la frayeur de ma vie : au cours d'une ronde, je suis tombé nez à nez avec un membre du personnel qui, armé d'un fusil, chassait des lièvres sur le parking de l'entreprise… Ma conscience professionnelle me dictait de le dénoncer, mais comme je ne suis pas un collabo, et que j'estime que chaque être humain a le droit de commettre des erreurs, je me suis contenté de lui dire de ranger son arme, et de ne plus la sortir sur le site. Un homme averti en vaut deux, dit-on…

*

Plusieurs salles de fabrication du bâtiment principal étaient traitées la nuit avec des vapeurs de formol. L'air y était irrespirable, et nous brûlait les yeux, la gorge et les narines, mais nous avions ordre d'y passer quand même pendant nos rondes. J'ai manqué de m'y évanouir un certain nombre de fois…

*

Un dimanche après-midi où j'étais de garde, deux alarmes incendie se sont mises en route intempestivement en même temps dans deux bâtiment différents. La probabilité pour que le phénomène arrive pourrait sembler proche du zéro. Et pourtant, ça m'est arrivé. Je suis donc allé voir sur le lieu de la première alarme, dans un bâtiment expérimental où l'on testait des médicaments sur des lapins. A part des longues oreilles à moitié shootées, rien de particulier… De retour au poste de garde, j'acquittais donc l'alarme, et couru sur le deuxième site. Là, je sentis de suite l'odeur d'incendie. Il y avait de la fumée partout. Je savais quel détecteur s'était mis en marche, mais plus je m'en approchais, plus je sentais que je risquais d'étouffer.
En fait, le feu avait pris dans un faux plafond sur lequel des électriciens avaient travaillé la veille. J'ai appelé les pompiers, et rédigé mon rapport d'intervention. Le lendemain, j'étais de retour aux AGF… Motif de la mutation : intervention trop lente, ayant mis en péril les installation sensibles de l'entreprise. De toute manière, ça tombait bien, parce que je n'aimais pas du tout ce site situé à plus de 40 bornes de chez moi, ni ses employés détestables, et encore moins ses odeurs insoutenables de formol.

Une nouvelle ère (très courte)

Chez Protectas, le travail était résolument le même que celui que j'effectuais chez SPS, à ceci près que mon nouvel employeur (qui avait m'avait généreusement consenti un contrat à 140 heures) a complètement renouvelé les équipes aux AGF, sur demande du client. Et ça tombait à pic, parce que je commençais à en avoir marre des AGF, de ses pâtes de fruits chimiques et de ses mutants dégénérés planqués dans les armoires électriques! Affublé d'un nouvel uniforme toujours aussi ridicule, -avec en plus des épaulettes, comme à l'armée- je me suis tout d'abord retrouvé dans le poste de garde d'une centrale électrique sur le Bec d'Ambès, encore plus loin de chez moi que l'usine de médicaments…
Il n'y avait pas grand chose à y faire, à part accueillir les visiteurs. Mais comme c'était la pleine époque de la première période de Vigipirate, il fallait un deuxième bonhomme pour donner une impression de sécurité. J'y suis resté quelques mois, en compagnie d'un ADS qui partait à la retraite, et qui avait vraisemblablement fait toute sa carrière ici… Bigre ! J'y ai donc passé mon temps à lire des comics, et à dessiner !

*

Mi-97. Après quelques petits remplacements sans intérêt à droite et à gauche, j'ai intégré l'équipe de sécurité du centre de tri régional d'une grande banque française, situé dans la zone d'activité de Bordeaux-Lac. C'était de loin le poste le plus intéressant qu'il m'ait été donné d'assumer, en tant qu'ADS, (de par les responsabilités importantes qu'on pouvait avoir) même si c'était globalement assez chiant. Je commençais d'ailleurs à refaire des miennes auprès de la direction de Protectas, car je ne faisais pas assez d'heures à mon goût. Mais rien à faire : je n'avais pas de diplôme d'agent de sécurité, et puis je n'étais sans doute pas assez malléable pour mériter quelque promotion que ce soit ! Alors devant leur indécision, je m'impatientais, me lassais de mon boulot, et commençais même à faire le clown et à tirer au flan. Je prenais un malin plaisir à faire de longs rapports sur la visite nocturne de renards gris sur le site (véridique, et notamment dans le jardin intérieur du bâtiment, complètement clos. Ils passaient par les conduits d'égouts), au grand désespoir de mon chef de poste (lui aussi retraité de l'armée…), qui croyait pourtant en moi au début.

La fin d'une époque

Et puis il me semblait que je m'enfonçais dans la routine. Les rondes de nuit, les trousseaux de clés cliquetants, la bombe lacrymogène (interdite, mais que je portais quand même) et l'omniprésent bip « homme mort » à la ceinture, les vacations de 12 heures, les petits salaires, les kilomètres pour embaucher et débaucher : tout cela finissait par m'aigrir dangereusement. Je me mettais dans des colères noires pour un rien, car j'étais frustré de vivre dans la banlieue (même assez classieuse) de cette mégalopole bourgeoise, tentatrice, sale et puante.
Il me semblait que je végétais ici. Je ne voyais pas de futur possible à Bordeaux, et il ne m'était en tout état de cause pas envisageable d'y élever mes enfants. Bien sûr, nous partions nous balader sur le bassin d'Arcachon lorsque nous avions des week-end communs, avec mon épouse. Mais ce maigre échappatoire n'était hélas pas suffisant pour que nous nous sentions bien dans cette vie citadine qui se profilait pour nous.

*

Un jour, alors que nous étions en vacances en Ariège, nous avons rencontré, au gré de nos randonnées, un vieux berger du nom de Miguel. C'est ce bonhomme sans âge et plein de santé qui m'a donné envie de faire ce métier de gardien de moutons dans la montagne. Après tout, gardien je l'étais déjà. Autant que ce soit dans un paysage et avec une qualité de vie qui me conviennent mieux, non ?

*

L'ANPE m'a mis sur la piste de cette formation dispensée par le CFPPA de Pau Montardon à Menditte. En septembre 1997, je donnais ma démission de chez Protectas. Je me souviendrais toujours de la tête de la secrétaire de direction lorsque je lui ai annoncé le motif de mon départ! C'était une conclusion en beauté pour toutes ces années à galérer avec des agence de sécurité!
J'ai tout de même gardé d'excellents contacts avec certains de mes anciens collègues bordelais, que je revois de temps en temps.

Epilogue

La suite, vous la connaissez déjà : je ne suis pas devenu berger en Ariège, comme je l'avais prévu au départ, mais je suis resté en Soule, où j'ai fait mon retour à la terre, et où je vis relativement heureux avec ma femme, mes gosses, et mon chien !