jeudi 19 novembre 2020

Les routes du crépuscule - début du Chapitre 7

(Photo Garak01 | Pixabay)
Ian la vire du lit avec pertes et fracas. Le réveil est instantané : elle se casse la gueule sur le plancher poussiéreux, jonché de sopalins froissés remplis de foutre, et se cogne la tête contre un ampli guitare à moitié démonté, stocké dans la chambre du musicien. 
    — Go get the dope, bitch ![1]
Valentine se redresse et sort de la chambre. Ian a le temps de lui balancer une de ses rangers avant qu’elle ait atteint le couloir. Elle se la prend en plein dans l’omoplate. Comme si elle était atteinte de la tremblante, elle s’appuie tant bien que mal sur les murs infâmes du couloir et trouve la porte de la salle de bain. Andy trempe déjà dans la baignoire. Il a posé une planche en travers du rebord et joue aux échecs, tout en fumant un joint. Ses pics fluos trempés sont repliés à l’arrière de son crâne. Il aurait presque l’air d’un jeune premier en partance pour son mariage. Il lève la tête et la toise comme s’il venait de surprendre un arachnide répugnant en train de crapahuter sur la faïence à moitié déglinguée. Il finit par grimacer, tout en expirant un long jet de fumée cannabinoïde :
    — Jesus, you look like shit, Val.[2]
Elle se regarde dans le miroir. Effectivement, c’est pas brillant. 
    — Sorry for this nightmare sight. I need to make myself up before I « go shopping ».[3]
    — Feel comfortable, it’s not as if you hadn’t seen my dick before…[4]
Il a raison. Pas besoin de faire la gazelle effarouchée. Elle est quand même restée en couple avec lui pendant six mois, avant qu’il ne se lasse de leurs ébats sexuels pourtant débridés, et ne passe à une nouvelle conquête. Entretemps, Valentine a insensiblement sombré dans la dépendance et la déchéance. Et c’est tout naturellement que l’odieux Ian – le véritable chef et seul compositeur du groupe – a hérité de sa carcasse défraîchie de junkie. Elle ne l’aime pas comme elle a aimé Andy, mais entre les moments où il lui fout de mémorables tannées, il sait aussi être tendre et généreux avec elle. Elle vit donc à ses crochets depuis quelques semaines, tant qu’elle fait ce qu’il lui demande, à savoir être sa chose et jouer les mules, essentiellement. 
Tandis qu’elle applique le plus consciencieusement possible un coup de crayon noir sur ses paupières, elle remarque dans la glace qu’Andy a arrêté de jouer. Il a comme un regard hanté vers son arrière-train. Elle soulève légèrement sa chemise et se penche en avant afin de l’aider à mieux contempler le pli de peau qui lie son sexe à son anus. Sa chatte est à portée de sa main, mais il n’esquisse aucun geste vers elle. Dans son état, regarder et se branler discrètement sous l’eau semble lui suffire. Valentine est déçue et met fin au spectacle en se retournant innocemment vers lui :
    — You were exaggerating, earlier : it wasn't that bad, look! Here I am, brand new ![5]
    — It's something that I always liked about you : you sure know how to make up like a stolen car ! It must be a french girl thing.[6]

Elle prend un air faussement choqué :
    — Well that’s racist, Andy ![7]
Il pose sa tablette sur la cuvette des toilettes attenante. La reine blanche perd l’équilibre et tombe dans le trou, mais ça n’a pas l’air de lui faire de l’effet : la « Marie-Jeanne » l’a suffisamment détendu. Il se lève, tout ruisselant du bac.
    — Let me know when you’re finished. I need to take a shit.[8]
    — Okay, I’ve heard enough. You need something from the market ?[9]
    — You know damn well what’s my poison.[10]
    — Sure. 
Valentine pique une Camel dans le paquet d’Andy et l’allume. Il ne s’offusque pas : c’est pas cher payé pour lui rapporter sa dose. 
Tandis qu’elle tire avidement sur le cylindre, elle remet ses crayons dans sa trousse à maquillage qu’elle repose sur le bord de la fenêtre, à côté de celles de Faith et Tracy, puis prend la porte, sans un mot.

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[1] Va chercher de la drogue, salope !

[2] Bon Dieu, t’as une sale gueule, Val.

[3] Désolé pour ce spectacle de cauchemar. J'ai besoin de me maquiller avant de « faire du shopping ».

[4] Met-toi à l’aise, c’est pas comme si tu n’avais jamais vu ma bite.

[5] Tu exagérais tout à l’heure : c’était pas si moche. Regarde ! me voilà, toute neuve !

[6] C’est un truc que j’ai toujours aimé chez toi : tu sais te vraiment maquiller comme une voiture volée ! Ça doit être un truc de française.

[7] Ça, c’est raciste, Andy !

[8] Dis-moi quand tu as fini, j’ai besoin de chier.

[9] Ok, j’en ai assez entendu. T’as besoin que je te ramène quelque chose du marché ?

[10] Tu connais très bien mon poison.

vendredi 13 novembre 2020

Une trilogie fantastique et horrifique ? Ben ça, c'est fait !


Je me souviens qu'en 2008, j'assiste à une soirée donnée par l'école de musique de Mauléon-Licharre dans la salle des fêtes de Barcus, dans laquelle mes enfants jouent. A la fin du spectacle je discute avec d'autres parents. Je tombe sur Edith Oliarj et, entre autres choses, nous parlons de Mauvais berger. Je lui dis que je suis fier de la sortie de ce livre, mais qu'entretemps, d'autres souvenirs me sont revenus et que je songe déjà à sortir une version deux, plus complète. Elle me répond quelque chose comme : "Tu devrais plutôt te lancer dans l'écriture d'un autre livre. Il te faut aller de l'avant, pas continuer à capitaliser sur un premier livre et ses multiples mises à jour..." Je me rappelle qu'à ce moment-là, je suis un peu gêné. Je dois répondre un truc nul, du genre :"ah oui, mais c'est prévu..." 

Oui, ça l'était. Je parlais déjà d'écrire un roman fantastique à mes collègues de boulot d'EMAC, en août 2008. Sauf que je n'avais pas encore eu l'idée. C'était comme qui dirait "dans l'air", mais pas encore bien assemblé dans ma tête. En novembre de la même année, j'ai eu cette épiphanie et j'ai entrepris la rédaction de cette saga, nommée L'infection, en suivant. Il m'aura fallu 5 ans pour sortir le premier tome, 5 ans de plus pour publier le second, et 3 ans de plus pour la terminer. 

Je ne vous cache pas que j'ai douté plusieurs fois, L'entreprise n'était-elle pas trop grande pour ma toute petite volonté ? Allais-je vivre assez longtemps pour la terminer ? Aurais-je assez d'imagination pour la développer de la façon dont je l'envisageais au début ? Est-ce que je n'étais pas trop caricatural, par moments ? Est-ce que je ne devrais pas m'occuper un peu plus des miens, au lieu de perdre mon temps sur ce texte idiot ? Qui suis-je pour prétendre écrire une trilogie fantastique et horrifique ? 
Oui, ça n'a pas toujours été simple. J'ai du batailler entre ce projet extrêmement obsédant et chronophage et ma vraie vie, le boulot, la famille (surtout)... Je ne suis pas loin de penser que la sortie du tome 1 Contage (en 2012) a probablement un rapport avec mon divorce. Mais peut-être pas, après tout... En tout cas, les dates coïncident étrangement. 

Parallèlement, le tome 2 Pandémie (sorti en 2017), celui de ma reconstruction personnelle, a été plus facile à écrire, même s'il m'a pris autant de temps que le premier. Le voyage aux USA m'a beaucoup inspiré et surtout redonné goût à la vie, et notamment cet épisode-ci. Autant je doute aujourd'hui de la présentation globale du premier tome (ce lexique à la fin, ce besoin de coller à la réalité de Second Life jusqu'au vocabulaire), autant ce volume correspond exactement à la vision que j'en avais au départ. J'en suis toujours aussi fier. 

Le tome 3 Sepsis, lui, est sorti pratiquement tout d'un coup de ma cervelle pendant le premier confinement. Contrairement aux deux précédents, je l'ai écrit dans l'ordre, un chapitre après l'autre. Les conditions étaient réunies pour un travail en hyper-concentration, et le récit était déjà bien construit dans ma tête, même s'il a fallu que je trouve une façon d'insérer les personnages de Gilen et Youssra, qui n'étaient pas prévus au départ. Je suis assez satisfait du résultat et de mon grand final. 

Pourquoi je vous parle de tout ça ? Tout simplement parce que, pour plagier Jean-Jacques Goldman (une fois n'est pas coutume), il faut aller au bout de ses rêves, où la raison s'achève... Il faut y croire, s'accrocher malgré les critiques, malgré ses propres doutes perfides, malgré la vie qui n'est pas toujours tendre. Il faut croire en soi, en sa capacité à commencer et terminer un boulot et d'y mettre tout son cœur.
Voilà, aujourd'hui, j'ai sorti cette putain de trilogie. Je l'ai fait, et ce malgré tous les sacrifices que ça a pu me coûter. En me retournant vers le passé et sachant ce que je sais, je peux l'affirmer : si c'était à refaire, je le referais sans hésiter. 

Cette dernière phrase, c'est le thème principal de mon prochain roman, intitulé Les routes du crépuscule, dont je viens de terminer le chapitre 6 hier. Je ne sais pas encore combien il y en aura, parce que je l'écris presque au jour le jour. Je suis une trame des plus simplissimes : début/milieu/fin, mais tout le reste s'invente au fur et à mesure. C'est un projet très enthousiasmant, avec beaucoup d'introspection, du cul, du punk-rock, un peu d'aventure(s)... Je vous tiendrai au courant des prochains développements. Possiblement, je publierai ici le premier chapitre. Alors soyez au rendez-vous !