dimanche 31 mars 2024

L'INSPIRATION, D'OÙ ÇA ME VIENT ?

Crédit photo : jackmac34 (Pixabay.com)
    Dans le hameau où je vis, on s'adonne régulièrement à des travaux d'intérêts communs, comme les amish, dans Witness. Bref, très récemment, pendant que passais l'aspirateur sur le sol de la salle des fêtes inondée par les récentes pluies diluviennes, un de mes voisins, un agriculteur d'habitude plutôt placide et sympathique, est venu à ma rencontre avec un air très soucieux, mêlé de détermination. M'entraînant plus loin dans un champ de fougères fraîchement coupées, il m'a demandé :

     Dis, ça reste entre nous mais toi qui écris des livres, tu saurais comment te débarrasser de quelqu'un sans que ça se sache, non ?
    Moi, naïvement, pensant qu'il s'intéresse à mes romans :
     Euh oui. Tu es éleveur : tu dois bien avoir de la kétamine chez toi, pour soigner tes animaux. Avec une seule ampoule injectée dans une artère, tu tues un humain normal.
     Ah oui, pas bête. Je n'y avais pas pensé.
     Bon, sauf que c'est un produit réglementé. Un enquêteur un peu malin finira par trouver le point d'injection. Sans oublier qu'après l'analyse du sang de la victime, hein ?
    J'ai réfléchi deux secondes, puis j'ai ajouté :
     Ou sinon avec un macérât de sève de digitale pourpre ! Il y en a partout, de cette plante, ici, en saison.
    — Ah bon ? Ce truc avec les clochettes, là ?
     Oui, c'est un poison mortel qui cause des arrêts cardiaques à celui ou celle qui l'avale. Et c'est pratiquement indécelable dans l'organisme, si tu ne sais pas ce qu'il faut chercher.
    Le paysan arborait un air pensif et souriait. De mon côté, je commençais à trouver ce drôle d'interrogatoire plus que suspect :
     Mais attends, pourquoi tu me demandes tout ça, au fait ?
    L'agriculteur a laissé passer un certain temps, le regard comme aspiré par l'horizon. Puis il a lâché, entre ses dents :
     Tu sais tenir un secret ?
    J'étais subitement mal à l'aise, comme quelqu'un qui en sait déjà trop. Néanmoins, je me suis entendu lui répondre :
     Euh, tu sais, je travaille dans une banque... C'est le mantra de mon employeur, "le secret des affaires"...
    Après un petit temps de réflexion, il a affecté un air rassuré et m'a donné une petite tape (qui se voulait connivente) sur l'épaule, avant de dévoiler, le ton bas :
     D'accord. C'est à cause de mon voisin. Il refuse de me vendre une parcelle de terre qui jouxte le ruisseau. Or, j'en ai besoin pour abreuver mes brebis et mes vaches. Mais quand je lui ai demandé gentiment, il m'a insulté et il a même menacé de décrocher le fusil. Alors qu'on est copains depuis la maternelle et qu'on chasse ensemble ! Donc je veux qu'il crève, ce sale enfoiré !
    J'ai avalé ma salive, devant la véhémence du propos.
     Ah ok...
     Reste à trouver comment lui administrer le jus de digitale, sans qu'il s'en aperçoive...
     Beh je sais pas, moi. T'en mets dans son café, ou dans sa bouteille de Ricard !, j'ai fait, comme si c'était une évidence.
    Le temps de voir la scène dans sa tête, le type m'a retapé sur l'épaule. Il semblait très satisfait de notre entretien : 
     Je compte sur ta discrétion, bien sûr !
    J'ai masqué mon intimidation du mieux que je pouvais, avant de mimer une braguette horizontale que je refermais sur mes lèvres, assortissant le tout d'un clin d'œil un peu forcé :
     Bien sûr : je serai comme une tombe !
Le sourire carnassier que m'a lancé mon voisin après cette sortie ne m'a absolument pas plu. 

    Et là, je me suis réveillé. Le réveil marquait 8h36, mais il était déjà 9h36 sur mon smartphone. Le changement d'heure, c'est vraiment de la merde.

lundi 11 mars 2024

FAITES UN PETIT EFFORT, QUOI !? (Je sens que ça va pas faire plaisir à tout le monde, mais bon... Fuck it !)

Dans le cadre de ma mission d'éditeur chez Astobelarra, il m'arrive de participer à des salons du livre ou de représenter l'association chez nos amis libraires ou encore sur des marchés...
C'est une litote. En fait, je suis partout en même temps car j'ai le don d'ubiquité 🙃.
J'y vais pour mes livres, bien sûr, mais également pour représenter et défendre ceux de mes collègues écrivains que nous éditons, because this is the way

Donc je suis très souvent en première ligne et en contact direct avec le public. Parmi lequel il y a les lecteurs, qui viennent feuilleter (et parfois acheter) nos nouveautés. Il y a les simples passants, dont on se demande bien ce qu'ils viennent foutre* dans un salon du livre tellement le sujet a l'air à des années lumières de leurs préoccupations quotidiennes... Et puis il y a aussi les écrivains en herbe qui viennent à ton stand avec un seul but en tête : te fourguer leur manuscrit. 

Il faut savoir que depuis le Covid, énormément de gens ont eu la révélation qu'ils devaient absolument publier un livre. À tel point qu'on se demande s'il n'y a pas plus d'écrivains que de lecteurs, désormais...
Attention, ceci n'est pas un jugement du travail produit par ces personnes. Dans le lot de ce que nous recevons, il y a parfois des pépites. Mais ce n'est pas le propos de ce billet. 

La vraie raison pour laquelle j'écris aujourd'hui, c'est que la grande majorité (si ce n'est la totalité) des personnes qui viennent nous proposer leurs manuscrits semblent se foutre* totalement de ce qu'on publie. Je m'explique : moi, si je devais cibler une maison d'édition pour qu'elle publie mes textes, je saurais ce qu'elle publie d'habitude (histoire d'être raccord avec la ligne éditoriale) et le niveau d'exigence demandé pour la bonne et simple raison que j'aurais déjà acheté et lu des livres de cette maison d'édition. Je trouve que c'est la moindre des choses. Voyez ça comme une règle de politesse élémentaire, ou comme un investissement pour l'avenir... Et puis, quelque part, c'est aussi une manière de se comparer à d'autres et - souvent - de soigner son égo 😁. 

Alors on pourrait arguer qu'il n'y a rien d'intéressant dans notre catalogue, et que c'est pour ça qu'on n'a rien acheté. Mais alors, si c'est vraiment le cas, il faut se poser la question : est-ce que je cible la bonne maison d'édition ? L'autre raison qu'on pourrait nous opposer, c'est je ne peux pas accueillir toute la misère acheter tous les livres du monde. Non, c'est sûr. Mais en tout cas, ça donne l'image d'une personne qui ne souhaite pas s'impliquer plus que ça et c'est pas top comme premier contact : tout le contraire de la dimension militante affichée par notre association. 

Pour vous dire à quel point je suis moi-même militant : j'achète systématiquement les livres de tous les auteurs d'Astobelarra, même si, de par mon métier d'éditeur, je les ai déjà lus au moins une fois, voire deux ou trois, même, parfois. Alors je ne demande pas à ce que tout le monde en fasse autant. C'est mon choix à moi de soutenir nos auteurs, et donc l'asso. Car, ne soyons pas dupes, je le fais également parce que l'argent qui rentre, c'est aussi celui qui va permettre de publier ou réimprimer mes propres romans. 

Par contre, il me semble que quand on souhaite se faire éditer, il est nécessaire qu'on connaisse un peu son sujet... Notez que ce n'est pas non plus un prérequis pour se faire éditer : il y a des gens qui achètent nos livre et dont nous avons pourtant refusé le manuscrit. De même qu'il y a aussi des gens dont on a pris (et publié) le manuscrit sans pour autant qu'ils aient jamais acheté ou lu une seule de nos productions. 

C'est le jeu (ma pauvre Lucette), mais quand même, quand on cherche à se faire éditer par une petite maison d'édition comme la nôtre**, et d'autant plus lorsqu'on se déplace pour venir nous voir en vrai, l'effort serait grandement apprécié. Et pour joindre le geste à la parole, sachez qu'Astobelarra lance une nouvelle souscription en ligne pour la sortie du 5ème roman de Thomas Ponté, intitulé Les Sens hors des nerfs et qui n'est autre que la suite très attendue d'Essences ordinaires, sorti en 2016. Si vous n'avez pas encore lu ce livre génial, jetez-vous immédiatement au gave, ça vous rafraichira les idées !
Cliquez ici pour en savoir plus et/ou précommander Les Sens hors des nerfs !
Amen.


** C'est d'ailleurs très rarement un premier choix. Ne nous leurrons pas : si le fameux manuscrit finit dans notre PAL, c'est plus souvent parce qu'aucune autre maison d'édition n'a voulu du manuscrit auparavant. 

lundi 26 février 2024

LE DERNIER VOL DU CORSAIR F4U.

PREMIÈRE PARTIE : LE PÉCHÉ ORIGINEL



La Genèse.


Automne 1980. J'ai 9 ans et je suis en CM1 à l’école primaire Paul Bert, à Cognac. J'ai une institutrice toute jeune et toute gentille. Elle est blonde et frisottée et elle ressemble un peu au Michel Polnareff de l'époque (mais en fille). Je ne suis pas un très bon élève. Plutôt classé dans les moyens / médiocres. Je n'aime pas l'école. Je ne l'ai jamais aimée, quels que soient mes enseignants. Ce doit être en réaction, parce que mes parents sont tous les deux profs et qu'on m'en fait baver avec ça… Un jour, un camarade de classe, Stéphan L., arrive à l'école avec un petit avion en métal. C'est un Corsair F4u d'un bleu métallisé profond, avec plein de décalcomanies à consonances américaines dessus, et fabriqué (à l'époque) par la société Matchbox. Il en est très fier de son avion. C'est un cadeau de sa grand-mère, je crois. Il nous permet d'y toucher, mais pas plus, dès fois qu'on écaillerait la peinture... À la récré, il le tient par la dérive et le fait voler avec des grands « Vraoums » en courant dans toute la cour, ce qui fait des admirateurs mais aussi, évidemment, des envieux.

Vile tentation.

L'après-midi, nous avons cours de sport sur un grand terrain attenant à l'école primaire. Pendant que nous faisons je ne sais quel exercice physique sans intérêt (je hais les exercices physiques sans intérêt), je demande à aller faire pipi. Avec ma bouille d’ange, je reçois l'autorisation de la maîtresse, et promets de revenir au plus vite. Mais alors que je passe le portail du préau, devenant invisible pour le reste du groupe, j’en profite pour fausser compagnie à tout le monde : j’entre dans la salle de classe en douce, puis fouille dans le cartable de mon camarade qui, resté à faire le clown sur la pelouse du terrain de sport, ne se doute de rien. Je saisis l'avion et le dissimule dans une poche de mon propre cartable avant de retourner sur le terrain de sport, comme si de rien n’était. Arsène Lupin n'aurait pas fait mieux. Pourtant, je sens mes muscles qui frétillent sous ma peau tout le restant de la journée, sous l’effet de l’adrénaline. Que se passera-t-il si jamais Stéphan s’aperçoit que son avion a disparu et qu’il donne l’alerte avant que la cloche ne sonne ? J’ai la trouille, mais heureusement, après le sport, la classe est finie et le vilain voleur que je suis a tôt fait de plier bagage pour retrouver la voiture maternelle qui attend, devant l’école.

Voyou, voleur, chenapan !

Personne n'en a jamais rien su, pas même son propriétaire initial qui a dû être bien malheureux, le pauvre. Mais Stéphan, qui est aussi dans ma classe l’année suivante, ne parlera jamais de cet avion volé avec lequel je joue ensuite pendant les longues années qui suivent, puis qui passe entre les mains de mes deux frangins brise fers avant de disparaître je ne sais où. En grandissant, ma conscience du bien et du mal s’éveille peu à peu jusqu’à cet événement fatidique - dans un futur plus ou moins lointain et que vous allez découvrir dans la deuxième partie - à partir duquel ce jouet devient un symbole maudit, pour moi. Il représente tout ce que j'ai fait de moche dans ma vie et que je regrette amèrement aujourd'hui. Mais à ce moment-là de mon existence, j'aurais aimé pouvoir le retrouver dans mes affaires (ou le même en neuf, pourquoi pas) pour le renvoyer à celui à qui il appartenait. Je me disais que je ne serai pas tranquille tant que ce ne serait pas fait… Ne me demandez pas pourquoi, je n'en savais rien moi-même !

*****


DEUXIÈME PARTIE : LA RÉVÉLATION


L’effet papillon.


Hiver 2010. J’ai 39 ans et je suis marié et père de deux enfants. Je travaille dans une agence web à Oloron-Sainte-Marie. Quelques années auparavant, j’assiste avec mon épouse et mes gamins au baptême de mon neveu par alliance, (le fils du frère de ma moitié – ‘fin je me comprends). La cérémonie, qui a lieu en l’église de Saint-Jacques à Cognac, me gonfle prodigieusement, mais je fais bonne figure. Il y a belle lurette que les religions, quelles qu’elles soient, ne font plus partie de mon système de pensée. D’ailleurs c’est bien simple, je ne crois en rien. Même plus en l’amour, mais ce n’est pas le sujet. Nous nous retrouvons ensuite pour un repas partagé entre les deux familles. L’un des convives, fortement alcoolisé, et qui paraît mis de côté par les autres, me dit quelque chose.

Retrouvailles.

C’est qu’il n’a pas tellement changé physiquement, en trente ans, contrairement à moi qui ai pris autant de kilos en trop que d’années. Son visage ressemble à un parchemin exhumé des pyramides, il a les traits creusés et ses paupières sont bouffies d’alcool, mais je le reconnais presque immédiatement : c’est Stéphan. Échangeant une coupe de champagne avec ma belle-sœur, j’apprends qu’il n’est autre que son cousin, qu’il ne picole pas seulement pour les fêtes familiales, qu’il vit tout seul et qu’il n’a pas de boulot fixe. Je songe : « quand même, dans mes souvenirs, c’était un mec sympa, assez populaire auprès de ses petits camarades masculins et apprécié des filles (malgré une coupe au bol bien ridicule, quoi que typiquement de son époque). C’est fou, ça ! Qu’est-ce qui a fait qu’il en est arrivé à un tel niveau de déchéance ? » Jamais je n’aurais pu imaginer ça de sa part, et pourtant…

Il n’y a pas de hasard.

À ce moment-là, j’ai complètement oublié cette histoire de Corsair F4u. Ça fait même des années que je n’ai pas pensé à cet avion, que j’ai perdu de vue depuis que mon second petit frère a arrêté de jouer avec. Mais en observant Stéphan qui maugrée, mégot entre les doigts jaunis, tout en s’affaissant lentement sur sa chaise après chaque verre englouti, je ne peux pas m’empêcher de me sentir mal à l’aise. Tout en avalant un dessert pas suffisamment intéressant pour me distraire, je continue de m’interroger : « Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’il soit comme ça aujourd’hui ? Pourquoi m’en suis-je sorti, moi, et pas lui ? » C’est en faisant ce parallèle hasardeux avec ma propre histoire que tout me revient en mémoire, en un flash ! C’est ce putain d’avion. Et par association d’idées (et selon la théorie du chaos, qui veut que le battement d’aile d’un papillon peut déclencher une tornade à l’autre bout du pays), je ne peux plus m’empêcher de penser qu’il se pourrait bien que je sois la cause de tous ses malheurs.

*****


TROISIÈME PARTIE : LA RÉDEMPTION ?


La chasse au trésor.


À partir de ce moment-là, je ne pense plus qu’à ça. Le livre que je suis en train d’écrire, le tome 1 de ma trilogie fantastique « L’infection », est mis de côté, le temps que je résolve cette histoire. Je suis persuadé que si j’arrive à lui rendre son avion, les choses pourraient rentrer dans l’ordre, pour lui. Mais je ne sais pas trop comment je dois m’y prendre pour réparer ce que je considère comme le péché originel. La première chose à faire, c’est de chercher dans les jouets restants, chez mes parents, pour voir si le fameux coucou est toujours de ce monde. Après moi, qui étais relativement soigneux, il est passé entre les pognes des mes deux frères, le cadet ayant pratiquement réussi à casser tous mes jouets ainsi que les siens. Mais dans mes souvenirs, le Corsair F4u était en métal et assez solide pour résister à ses assauts : il avait de bonnes chances d’avoir survécu à son pouvoir de destruction. J’ai donc demandé de l’aide à mes parents. Ils ont farfouillé dans tous les recoins de leur maison, vidé toutes les caisses de jouets, mais ça n’a rien donné. L’avion avait bel et bien disparu…

La baie des désespérés.

Impossible de lui rendre l’avion original, celui-là même que je lui avais volé, sans vergogne, trente ans plus tôt. Et sans cette action, impossible de trouver le salut… Impossible de me remettre au travail. Il ne me reste plus qu’Internet pour tenter de sauver la mise. Avec l’accord de mon épouse, qui se fait bien prier (car elle « n’aime pas quand je dépense l’argent du ménage en conneries »), je me lance pour la première fois de ma vie dans le labyrinthe d’eBay, en espérant pouvoir y trouver la lueur au bout du tunnel. Je tombe sur plusieurs offres avec exactement le même jouet, mais à des prix résolument abusifs. Et puis à force d’observer le manège, je finis par comprendre le système des enchères et quelles stratégies je dois adopter pour remporter la mise à moindre prix. Je n’achète pas un Corsair F4u, mais quatre, dont un encore préservé sous son blister d’origine. Et tout ça pour une quarantaine d’euros, au grand dam de ma moitié qui me maudirait sur plusieurs générations, si seulement elle pouvait.

Le chemin vers la rédemption.


Je donne un avion à chacun de mes enfants. J’en garde un (orange) pour moi, en souvenir de mon méfait, et je décide d’envoyer le plus beau, encore emballé, à Stéphan. Ma belle-sœur, à qui je raconte toute l’histoire, me prend certainement pour un fou, mais me communique quand même l’adresse de son cousin. Il reçoit le colis et un petit mot explicatif quelques jours plus tard. Je n’entre pas dans les détails, mais je lui écris que je lui ai subtilisé son avion à l’école primaire et que le fait de l’avoir revu au baptême de mon neveu m’a donné des remords, d’où cet envoi. Suite à cela, Stéphan contacte sa cousine. Il lui assure qu’il ne se souvient absolument pas de cet avion, mais lui demande de me remercier pour le geste. Étrangement, je suis soulagé et déçu à la fois. Je suis heureux de ne pas avoir été le papillon qui a généré la tornade de sa vie et triste (pour moi) d’avoir perdu tout ce temps avec ces remords stupides. La vie reprend son cours, et je finis presque par oublier.

Jusqu’à ce que, à peine quelques semaines plus tard, ma belle-sœur m’apprenne que son cousin est mort. Une cirrhose, parait-il. Mais d’un coup, ma vision s’obscurcit ; c’est à nouveau le chaos dans ma tête. Et si… et si c’était encore de ma faute ? Serait-il encore de ce monde si je ne lui avais pas renvoyé ce fichu avion ? Le battement de l’aile du papillon…

*****


QUATRIÈME PARTIE : LA SAISON 2


Les fantômes du passé.

C'est à ce moment-là que ma conscience du bien et du mal explose comme un geyser, ou plutôt comme un lac artificiel auquel on aurait subitement ôté son barrage, noyant tout mon être sur son passage dans des flots bouillonnants de culpabilité et d'opprobre. Et soudain, tous les moments où j'ai été un fieffé connard me reviennent au visage, d'un seul coup. Je suis hanté par les fantômes de mon passé, comme Kiefer Sutherland dans Flatliners, sauf que, par bonheur, je ne me fais pas casser la gueule par mes victimes à tout bout de champ, comme lui. Et pour cause : je n'ai tué ni violé personne. Mais le résultat est similaire sur mon mental : je fais cauchemars sur cauchemars, je stresse pour un rien, je tente de m'anesthésier l'âme avec des litres de bière, parfois même du rhum... Mais l'image de Sophie C., une ancienne camarade de classe que j'ai harcelée au collège, ne veut pas quitter mon esprit. Je revois toutes mes exactions à son encontre et j'ai envie de pleurer. Si je la retrouvais par hasard, je pense que je me jetterais à ses pieds pour lui demander pardon, tellement la honte m'accable.

Rebelote. 
 
Je me mets donc en tête de fouiller l'Internet de fond en comble, mais évidemment, elle n'apparaît nulle part, ni sur sur les réseaux sociaux ni sur les moteurs de recherche. Pas une seule photo sur Google Images et même le dinosaure "Copains d'avant" ignore son existence ! C'est quand même dingue qu'avec cette profusion de smartphones qui envahissent nos vies jusqu'à l'aliénation, il puisse encore exister aujourd'hui des gens qui n'ont absolument aucune identité numérique ! Je me persuade que si elle avait voulu fuir son passé, elle ne s'y serait pas prise autrement. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue ; aucun de mes copains de troisième n'ont gardé de contact avec elle non plus.
"Pas de nouvelle, bonne nouvelle", dit-on. Peut-être qu'elle a rencontré quelqu'un de bien qui la rend heureuse ? Peut-être même qu'il - ou elle - lui a complètement fait oublier le calvaire de son adolescence ? Ou peut-être est-elle morte seule, malheureuse et alcoolique dans un cul de basse-fosse, elle aussi ? Et à cette simple pensée, il me semble entendre son rire si caractéristique, que je prenais un malin plaisir à railler. 

Point final.

J'ai peur que mon battement d'aile de papillon ait encore frappé. Et j'ai peur que toute nouvelle action de ma part engendre une nouvelle tornade incontrôlable. Le chaos. Je devrais sûrement lui foutre la paix, à cette pauvre Sophie C., mais en même temps, mon esprit tordu m'intime l'ordre de me racheter, sous peine de mourir à petit feu, comme Stéphan. Et si jamais, par chance, j''arrivais à lui présenter mes excuses, j'en aurais certes fini avec elle ; mais qui dit qu'un autre vent mauvais ne viendrait pas souffler sur les braises de ma conscience ? "Si l'un tombe, un autre sort de l'ombre à sa place", c'est connu. Je me sens perdu comme un enfant dans une forêt primaire, peuplée de hyènes aux crocs acérés.
Peut-être que je devrais apprendre à lâcher prise, au lieu de me rendre malade pour des choses - que d'aucuns jugeraient insignifiantes - et qui sont très loin derrière moi ? Car finalement, peut-être que c'est Sophie C., le battement de papillon de ma tornade, et que je dois apprendre à (sur)vivre avec... Il serait temps, à presque 53 ans !


La première partie de ce texte a été écrite et publiée en décembre 2010 sur mon blog "Xiberoland", aujourd'hui fermé. Je la republie ici dans une version plus complète afin d'en garder une trace. C'est plus une trame qu'un texte travaillé. Peut-être l'utiliserais-je un jour, dans un futur recueil de nouvelles ? Ai-je besoin de préciser que tout est vrai ? 

samedi 25 novembre 2023

Ecrire un roman : anatomie d'une obsession

J’en ai déjà parlé dans un billet précédent, mais ces derniers temps, j’éprouve une drôle de sensation, que je connais pour l’avoir déjà vécue cinq fois, que j’adore mais que je redoute également ! Je veux parler de cet état d’excitation intense, de fébrilité qui m’étreint lorsque je suis sur le point de me lancer dans l’écriture d’un nouveau livre, ou alors de poser le point final à un manuscrit en cours. Et c’est cette deuxième raison qui m’obsède en ce moment.

C’est tellement fort que j’ai l’impression que toutes les molécules de mon corps vibrent à l’unisson, tandis que mon cerveau baigne dans une espèce de lave glaciale et gluante. Cette sensation de repli sur soi est si dingue qu’on dirait que mon esprit s’avale lui-même, un peu comme si l’univers tout entier implosait, s’auto-aspirant vers un point gravitationnel central irrésistible. C’est totalement grisant, mais malheureusement, le revers de la médaille est à l’avenant.

Je ne pense qu’à ce livre, sans arrêt, au détriment de tout le reste. Impossible de me concentrer plus de quelques minutes sur autre chose. Je fais tout machinalement, sans y penser, par pur automatisme. Dans ces moments-là, même mon travail peut passer en tâche de fond. Toute mon essence turbine à 100% pour Le moment ou jamais ; et tous les autres aspects de ma vie quotidienne, dont certains vitaux, passent au second plan.

Mon corps m’échappe. Pour vous donner un exemple concret : je dois parcourir 74 km en voiture pour aller au bureau. Dès que j’ai rejoint la route, je me mets en mode « pilotage automatique » sans même m’en rendre compte et je « ne vois plus rien » jusqu’à ce que j’arrive à destination. Je conduis, bien sûr, mais sans vraiment voir la route. Parfois un danger intempestif me tire de ma transe, mais c’est pour mieux y replonger, encore plus profondément, quelques instants plus tard.

Je ne vous cache pas que ce n’est pas facile à vivre, mais c’est surtout pour l’entourage que c’est le plus compliqué. J’écoute sans écouter, je réponds aux sollicitations mais souvent par onomatopées, ou à côté de la plaque… Mon ex-épouse, que cela horripilait, me disait « tu es là mais en fait, tu n’es pas là ». C’est une bonne description du phénomène. C’est probablement une des raisons qui a fait qu’aujourd’hui, je parle d’elle comme de « mon ex ».

Dans ces moments difficiles, je vous jure que je lutte contre moi-même. Je m’épuise à tenter de garder un pied dans le monde réel, parce que je n’ai pas envie que ça recommence. J’aime ma compagne et je ne veux en aucun cas lui faire de la peine. Mais c’est plus fort que moi. Mes pensées m’assaillent et m’enveloppent comme un linceul sinistre, et cela me demande une énergie folle de les contenir.

Alors pour temporiser, je m’accroche au jalon de mes prochaines vacances, qui s’approchent lentement, mais sûrement. Noël et le premier de l’an ne seront qu’un détail sans importance, cette année car j’ai l’intention de consacrer le plus clair de mon temps à terminer ce projet que j’ai entrepris il y a deux ans. Entretemps, j’essaye de garder tant bien que mal la tête hors de l’eau mais combien de temps encore, avant que je ne me noie ?

lundi 20 novembre 2023

La recherche, étape essentielle à ne pas négliger

Un roman, et notamment un "thriller", ça ne s'écrit pas à la légère. Il vaut mieux savoir de quoi on parle, surtout lorsque le sujet développé est un peu technique, histoire de rendre le récit un minimum crédible et de ne pas passer pour un idiot auprès d'un lectorat un peu plus avisé que la moyenne. C'est pour cette raison que je passe énormément de temps à rechercher et corroborer des sources, à interviewer des spécialistes et à prendre des notes sur tous les sujets pour lesquels je sens que mes connaissances sont approximatives...
Bref, c'est un vrai travail journalistique, mais qui est véritablement essentiel. 

J'ai eu à faire cette recherche pour chacun de mes romans. Pour la trilogie L'infection (au sujet de l'intelligence artificielle, mais également des trous noirs et de l'espace-temps, de l'armement militaire, des missions et actions de la Gendarmerie, des différentes forces de police aux USA, de ce qui se passerait en termes d'environnement en cas de guerre nucléaire... Je suis même allé jusqu'à visiter de lieux emblématiques du roman dans le monde réel ainsi que via Google Streetview...) mais aussi pour Les routes du crépuscule (renseignements pris sur les hôpitaux psychiatriques en France, effets de l'usage de stupéfiants, repérages de lieux que je n'ai jamais vus comme le Vietnam ou le quartier Camden Town à Londres, etc.). La question ne s'est pas posée avec Mauvais berger ! car il s'agit d'un récit autobiographique, et donc tout ce que j'y raconte est vrai. De mon point de vue, s'entend.

Le moment ou jamais ne déroge pas à la règle. Par exemple, l'un de mes personnages se retrouve tétraplégique avec un syndrome d'enfermement, après un accident de voiture. Je suis d'abord allé chercher une spécialiste (ma cousine, infirmière de métier, m'a donné les bons termes médicaux). Mais il me fallait plus de détails pour la suite que j'imaginais, car la scène que je décris (et que vous découvrirez à la sortie du livre) se doit d'être réalisable et surtout réaliste, notamment pour éviter de distraire le lecteur, dont je souhaite qu'il soit uniquement assailli par un sentiment d'horreur. J'ai donc été chercher de la documentation en ligne sur la façon de nourrir ou désaltérer une personne dans cette situation (cf vidéo ci-dessous). 

Verdict : cela va supposer des petits aménagements pour que ma vision de la scène colle avec le réalisme imposé par la situation, mais comme le dit le proverbe : à cœur vaillant, rien d'impossible ! 

Soyons clairs : inutile de tout vérifier pour rendre une histoire crédible, surtout lorsqu'il s'agit d'une fiction avec des incursions fantastiques car c'est un genre littéraire qui autorise un minimum de fantaisie. Par exemple : j'ai situé la première partie du roman au château de Libarrenx. Mais ce n'est pas exactement pour l'usage qui en est fait dans la réalité : j'ai transformé la bâtisse en Ehpad. Je me suis donc permis certaines libertés concernant l'agencement des pièces, couloirs et autres commodités. Ce qui ne m'empêchera pas d'aller voir sur place à l'occasion, maintenant que le texte est écrit, davantage par curiosité personnelle que par souci du strict respect de la réalité.

Mais on ne peut pas faire n'importe quoi non plus ! C'est un mélange subtil entre fantastique et réalisme et l'un ne doit pas nuire à l'autre. En ce qui me concerne, tout doit paraître plausible. Je pense que je suis dans la bonne direction avec Le moment ou jamais. Vous m'en direz des nouvelles, le moment venu ! ^^ 

Mes livres : 

lundi 6 novembre 2023

#LMOJ : PETIT ÉTAT DES LIEUX

Juste un petit mot pour vous dire où j’en suis de mon nouveau roman Soyons clairs : je suis en période de mûrissement. C’est-à-dire que pour l’instant, je n’écris plus rien, mais je laisse les idées infuser en tâche de fond. Tout le plan est rédigé, bien qu’il m’arrive encore de noter quelques petites anecdotes qui nourriront le texte. Globalement, je sais tout ce qui va se dérouler dans les cinq prochains (et derniers) chapitres de « Le moment où jamais ». Les idées sont bien posées, il n’y a plus qu’à s’y mettre sérieusement. Mais…

La vérité, c’est que ces jours-ci, je n’ai pas de temps à consacrer à l’écriture. Quand je lis que certains auteurs écrivent systématiquement quatre à six heures par jour tous les jours (cf. Stephen King ou Bernard Werber), je ne sais vraiment pas comment ils font ! Moi j’ai besoin de m’y plonger plusieurs jours d’affilée pour que ça avance. Pas quatre heures par-ci ou par-là, en pointillés. Or, actuellement, je n’ai pas plusieurs jours d’affilée à consacrer exclusivement à mon livre.

Le truc, c’est que je ne suis pas romancier à 100%. J’ai un travail prenant (mais qui me convient à la perfection), huit heures par jours ouvrés (sans compter la route pour aller au bureau) et qui ne me laisse que les week-ends pour décompresser. Et comme vous le savez, l’automne est une saison chargée pour Astobelarra. Nous avons couru les salons en septembre et octobre, et nous avons lancé une souscription en simultané (le nouveau roman de Constance Dufort).

Sans oublier la mise en page d’un texte que nous allons publier sous la marque Vasconimedia (l’édition à compte d’auteur d’Astobelarra). Bref, je n’ai pas chômé, au cours des derniers week-ends. Pour vous dire : je n’ai même pas eu le temps de m’occuper de mon jardin, qui ressemble à un terrain vague mangé par les ronces. Alors écrire, pensez-vous !!! J’en viens presque à regretter le confinem… Non, je déconne.

J’ai posé deux semaines à Noël. J’espère bien pouvoir consacrer quelques jours à l’écriture de ces cinq derniers chapitres à ce moment-là. Une fois que ce sera fait, je ferai circuler le manuscrit dans notre comité de lecture pour avis et corrections, en espérant qu’il plaise assez pour envisager une publication à la rentrée de septembre. Si je rate cette occasion, il faudra attendre les prochains congés, ce qui rallongera d’autant le délai de sortie du livre.

C’est pas si facile, la vie de romancier, que j’vous dis !

mardi 12 septembre 2023

Si t’es pas prêt à ça, t’es pas prêt pour ce métier !

Ce matin, je me suis réveillé à 6h00 pour aller au travail. Je mets en général une dizaine de minutes à émerger, temps que je mets à profit pour regarder les nouvelles tombées dans la nuit. J’ai ouvert Google Actualités sur mon smartphone et mon œil a immédiatement été attiré par un article parlant du bassiste de Metallica, qui titrait : « Robert Trujillo a rejoint ses anciens compagnons de groupe de Suicidal Tendencies… »

Quelques jours auparavant, j’avais rêvé que Jason Newsted retrouvait sa place, 22 ans après avoir été débarqué (je sais : j'ai des rêves bizarres...). Ce qui est amusant car sans détester, je n’ai jamais été un immense fan de Metallica. Thomas Ponté s’amuse à dire que « Metallica, c’est Johnny », et finalement, je trouve qu’il a assez raison. Et c’est donc empli d’une curiosité malsaine que j’ai ouvert le lien et commencé à lire…

Mais avant d’avoir compris une seule ligne de l’article, j’avais déjà vu ça (image ci-dessus). Mais « What the fuck ! » est la première expression qui me soit venue à l’esprit, suivie de « Bordel de cul ! » Jugez un peu : je vois trois fois sur la même page la couverture de mon dernier roman proposé à la vente quasiment à moitié prix par Momox. Et juste à côté de celle du dernier Beigbeder, qui plus est ! Qu’avais-je fait pour mériter ça ?

Et puis je me suis rappelé que « les routes du Crépuscule » fait partie de mes alertes Google. Chaque fois que l’expression (ou un bout de l’expression) est utilisée en ligne, Google m’avertit chaque matin à 8h00. Pareil pour « Mauvais berger », « Astobelarra », ou « Mauléon-Licharre ». Sans oublier que Dimanche, lors du salon du livre de Lons, nous avions évoqué « Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé » et que j’avais cherché la couverture dans Google Images. Bref… Tout ça parait logique.

La petite voix de Roger (cf Le moment ou jamais) a alors tinté dans mon oreille droite : « C’est le jeu ma pauv’ Lucette ! Fallait pas chercher ça sur Google ! » Certes, lui ai-je répondu, mais mon livre est bien en vente sur Momox, lui ! Et à moitié prix, surtout ! Du coup, je suis allé chercher sur Google ce que c’était que ce site avec un nom aussi bizarre, et voici un extrait de sa fiche Wikipedia : « Momox AG est une société de recommerce allemande fondée à Berlin, et spécialisée dans l’achat/vente de livres et articles culturels d’occasion. » Comme Rakuten (ex-Price Minister), quoi…

Voilà donc pourquoi !

Cela dit, ça m’a fait très bizarre sur le coup. Genre ascenseur émotionnel. J’étais partagé entre une sensation de joie : « Putain, mais mon livre est proposé à la vente dans des pubs en ligne !!! Incroyable, je suis aussi célèbre que Beigbeder ! Je vais enfin pouvoir me faire poser des implants capillaires pour ressembler à Jésus, moi aussi, et avant Thomas Ponté en plus ! » et une immense déception : « Ah mais c’est que des pubs ciblées… Quelle merde ! Chuis qu’une merde ! »

Et puis j’ai repensé à une récente story de Dreamkid, dont je suis le compte Instagram. Il publiait un commentaire immonde qu’il avait reçu rapport à son look extravagant, avec cette mention : « si t’es pas prêt à ça, t’es pas prêt pour ce métier ! » Alors j’ai relativisé, j’ai puisé au plus profond de moi la force de me lever, suis allé pisser et le reste de ma vie a continué… Comme d’habitude. Au temps pour les dreadlocks ! 

Thomas, tout est encore possible pour toi ^^