mardi 3 juin 2014

Le meilleur ami de l 'homme

Pollux au printemps 2005, au plateau de Letxaregibela

C'est ce qu'on dit : le chien est le meilleur ami de l'homme. Je confirme.

Pollux, je l'ai sauvé d'une mort certaine en avril 1999. Il est né dans une exploitation agricole, dans laquelle les chiens étaient (et sont sans doute toujours) traités et utilisés comme des outils de travail. Pas seulement les chiens, d'ailleurs, mais c'est un autre débat...
Comme ses frères et sœurs, il était destiné à finir noyé dans le gave d'Ossau à peine quelques jours après sa naissance, mais j'ai pu le sauver. J'avoue, j'ai longtemps culpabilisé d'avoir laissé l'horrible bergère assassiner le reste de la fratrie, mais on ne peut pas accueillir tous les chiens perdus du monde, si?
S'il avait eu la malchance de devoir rester dans sa maison de naissance, il aurait vécu une vie de labeur, de privation et de famine et serait mort à 7 ou 8 ans, comme tous les chiens-esclaves. Mais il a eu de la chance : il a été éduqué, aimé, choyé, soigné, nourri, promené. Globalement, je peux dire qu'il aura eu une belle vie de 15 ans et 1 mois. 

C'était un toutou gentil, affectueux, qui aimait jouer avec les enfants et courir dans la montagne. En outre, il avait une qualité essentielle : il gardait son territoire et faisait fuir les témoins de Jéhovah! 
Il avait aussi ses défauts, bien sûr : il était braillard en voiture sur les trajets courts, il courait sans cesse après celle du facteur (ce qui lui a valu une patte arrière cassée), il poursuivait les moutons des fermes voisines dès qu'on ne le surveillait plus (ce que c'est que l'hérédité), et il aimait provoquer (voire dominer) les autres chiens, si possible les plus gros que lui, ce qui lui a valu des raclées mémorables (c'est généralement ce qui arrive quand on se frotte à plus fort que soi) et de longs moments de solitude chez le vétérinaire... Il était gourmand, aussi : il a fallu courir les cliniques vétérinaires de Charente un dimanche midi, après une ingestion intempestive de mort-aux-rats! Même chose lorsqu'il a attrapé la Piroplasmose... Mais à chaque fois, il s'en est sorti parce que ses maîtres veillaient au grain, si je puis dire...

Et puis, il a supporté sans rien dire les énièmes déménagements qu'on lui a fait subir, de Gotein à Mauléon, de Mauléon à Ordiarp, puis retour à Mauléon... Il nous a accompagné avec enthousiasme dans la plupart de nos déplacements et vacances, même si la voiture, c'était long, dès fois. Il adorait aller au parc de Libarrenx. C'était un peu son jardin, lorsque nous n'en avions plus. C'était un membre de la famille à part entière, le grand frère maladroit, tout poilu et toujours joyeux de mes enfants.

Et puis, en décembre 2012, lorsque notre famille a éclaté, il est resté avec "sa maman". Je ne pouvais pas loger de chien de son gabarit dans mon appartement, au second étage de la rue Victor Hugo. Je ne sais pas ce qui passait par sa tête à ce moment-là, mais à son comportement, je peux dire qu'il m'a toujours aimé, même si - en quelque sorte - je l'ai abandonné comme un faux frère... Très vite, son état de santé a commencé à décliner. Au printemps 2013, il avait commencé à maigrir, ses pupilles à s'opacifier, ses intestins à se lâcher. Ses pattes tremblaient, son coeur fatiguait très vite et il commençait sérieusement à refouler du goulot... Bref, il devenait vieux, si bien que je pensais qu'il ne passerait pas l'été. Mais il l'a fait. Il a même passé l'hiver 2013 et presque le printemps 2014. 

Mais quand le cœur fatigue, les reins sont moins bien irrigués et finissent par se déliter. C'est ce qui lui est vraisemblablement arrivé ces dernières semaines. Son état est devenu critique pendant le pont de l'ascension, alors que les enfants et leur maman étaient partis en voyage dans les Bardénas. La gardienne de Pollux m'a appelé samedi matin. En arrivant sur place, j'ai bien vu que mon chien n'était plus que le tiers du quart de lui-même. Il était presque incapable de se lever, de marcher, et chiant le sang. J'ai dû le porter pour qu'il puisse entrer et sortir de la voiture, ce qui n'était pas trop difficile puisqu'il ne pesait plus que la moitié de son poids initial... Les analyses sanguines chez le vétérinaire étaient sans appel. Pollux allait mourir dans des souffrances atroces. Je le voyais, allongé et tremblant sur la table, inquiet, il avait l'air de très bien comprendre ce qui se passait. 

La décision est très lourde à prendre, je ne savais pas à quel point, jusqu'alors. Je parle de celle d'autoriser le véto à tuer son chien par injection létale. C'est très culpabilisant : suis-je un salaud, ou suis-je au contraire un type bien? Est-ce un meurtre? Est-ce que les raisons sont justifiées? N'aurait-il pas pu vivre un peu plus longtemps, au moins jusqu'à ce que les enfants puissent lui dire un dernier "au revoir"? Autant de questions existentielles qui m'ont traversé la tête à toute allure et jusqu'au vertige, avant que je ne signe l'autorisation. Je me souviendrai toujours du regard de Pollux au moment de l'injection, du long hurlement sourd qu'il a poussé - comme s'il avait compris que je le trahissais une seconde fois - avant que sa tête ne se fasse lourde. Quelques ultimes réflexes nerveux, et en cinq secondes, c'était fini. Il est mort dans mes bras.

J'ai tué mon meilleur ami, mais il est trop tard pour regretter...