mardi 6 mars 2012

LA RIVALE

J'ai eu un peu les boules de rater le dernier atelier d'écriture. Sophie Pavlovsky m'avait fait passer le sujet, mais je n'ai jamais trouvé le temps de m'y pencher. Et puis, il faut être dans les mêmes conditions, tout ça... En fait, j'ai eu pas mal de choses à régler avec Astobelarra ces derniers temps. Tout ça pour dire que je NE POUVAIS PAS rater l'atelier de ce soir ! Et je suis bien content d'avoir pu y assister, parce qu'on aurait dit que le sujet avait été pondu rien que pour moi ! Ce coup-ci, il fallait imaginer "le fait de tuer une personne, et raconter le pourquoi du comment". Comme souvent, nous devions au préalable écrire un mot qui désigne cette personne (il fallait éviter que ce soit nominatif, quand même; donc impossible de mettre Sarkozy ou Poutine) sur un bout de papier puis tirer au hasard la malheureuse victime. J'en ai écrit deux ("Elle", et "La bibliothécaire" lol), au cas où un retardataire arrive. Il n'y en a pas eu (c'est régulièrement moi, le retardataire) mais Sophie a eu le premier, Maïtena le second. Moi, j'ai eu "La rivale".
J'ai immédiatement eu un genre de flash. J'ai su en quelques secondes ce que j'allais écrire, et comment j'allais l'écrire. C'est sorti tel quel, presque par automatisme. Une fois que j'ai posé le stylo, j'en avais les jambes flageolantes, comme si j'avais fait 30 km en vélo, à fond les manettes !
Mais foin de bavardage, voici le résultat de cette heure et demie d'inspiration :

Dès que je l'ai vue débarquer, j'ai su que les dés étaient jetés : ce serait elle ou moi !
Je partais avec un sacré handicap : elle était jeune, jolie, intelligente, riche et même célèbre pour son investissement sans borne dans diverses associations caritatives locales. Moi, j'étais déjà quinquagénaire, chauve, gras du bide et mes caisses étaient vides. Mais j'avais (et j'ai toujours, il faut croire) une intelligence machiavélique, qui m'a toujours porté chance. Ce n'était pas mon premier coup tordu et je me fis fort de régler son compte en bonne et due forme à cette innocente immaculée.
Mon challenge aura été de lui trouver une faille exploitable, sans trop de prise de risque. Son manque d'expérience n'aurait pas suffit à la liquider pour de bon. Il lui conférait même un petit air fragile, plus prompt à inspirer la pitié et le pardon que le désir brutal de l'écraser comme un cloporte. Il me fallait trouver la faille idéale, celle qui l'empêcherait définitivement de me voler la vedette.
Alors j'ai mis mes meilleurs larbins sur le coup. Ils étaient chargés d'enquêter en profondeur sur son passé, sa vie privée, sa famille ou d'éventuelles activités illicites auxquelles elle aurait pu s'adonner en secret. Mais rien n'entachait en apparence sa personne ni sa réputation. Pas même une pauvre histoire de cul à lui reprocher ! Elle était vraiment blanche comme neige.
Or, comme vous le savez certainement tous, dans mon monde, les ingénus n'ont pas leur place. Les gentils se font croquer par les méchants. Ce sont toujours les salauds qui gagnent à la fin, parce que ce sont les salauds qui ont le plus de ressources pour survivre. Eh non, ce n'est pas simplement une vision subjective du monde, déformée par le prisme de la mégalomanie. C'est la pure réalité ! Regardez le règne animal et vous aurez compris comment fonctionne le mien, celui de l'humanité. Notez bien que j'ai dit HUMANITÉ, et non HUMANISME !
Mais assez digressé : si rien ne pouvait l'atteindre, alors il fallait qu'elle meure car sa présence me faisait trop d'ombre. Je sentais que le vent pouvait tourner et qu'elle pourrait aisément prendre cette place que j'avais si chèrement acquise.
Oh, j'aurais sûrement pu payer quelque sbire pour la supprimer : un sniper qui l'aurait attendue quelque part sur la route et lui aurait logé une balle de neuf millimètres dans l'occiput. J'aurais aussi pu l'étrangler de mes propres mains pendant son sommeil; croyez bien que j'y aurais pris plaisir ! Mais elle ne devait surtout pas mourir en martyr. Personne ne devait la regretter, c'était la condition sine-qua-non afin que je puisse rester bien confortablement à ma place et surtout, sans que j'aie besoin de devoir me justifier. Ce devait être le crime parfait, propre, insoupçonnable mais qui entacherait sa mémoire à tout jamais.
J'aime mieux vous dire que j'ai déployé des trésors d'ingéniosité pour la piéger. Ça n'a pas été du tout cuit, si vous me permettez l'expression, mais j'ai fini par trouver une prise. Ou plutôt : je l'ai inventée...
Vous savez, dans mon métier, il suffit de peu de choses pour manipuler l'opinion. Une caisse de Ricard par-ci, des tarifs préférentiels par-là et toute la presse locale vous mange dans la main. En ce qui me concerne, ça fait des années que c'est le cas. J'y travaillais en sous-main, au cas où j'aurais besoin d'appuis un jour. Comme je n'avais jamais eu de contradicteurs jusqu'ici -du moins jusqu'à ce quelle arrive dans la vallée- je n'avais jamais fait usage de cette carte là.
Alors j'ai raconté des salades et chargé mes larbins de propager discrètement la nouvelle. Et ce qui devait arriver arriva, car un mensonge diffusé par toute une communauté d'abrutis aveugles prend forcément une part de réalité, si elle ne devient pas la seule possible. Résultat, elle a très vite perdu du crédit. Sa parole n'eut bientôt plus de valeur aux yeux des gens qui la soutenaient corps et âme, à ses débuts. Elle s'embourbait dans ses positions car sa fierté était tout ce qui lui restait. Mais c'était trop tard : rien n'aurait pu la sauver !
il ne me restait plus qu'à la tourner publiquement en dérision au moindre prétexte. Je l'ai tuée de sang-froid, comme on tue une rivale politique. Elle quitta le pays et l'on entendit plus jamais parler d'elle...
Quant à moi, eh bien, j'ai encore quelques belles années pour administrer tranquillement cette petite municipalité. Je laisserai une belle trace de mon passage dans l'histoire de la mairie et qui sait, peut-être même que je deviendrais président du Conseil Général? N'ai-je pas apporté la preuve que rien - ni personne - ne me résiste ?

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