mardi 13 décembre 2011

LE ROMAN DE NOËL

Ce soir, aux ateliers d'écriture de Mauléon, c'était une session spécial Noël. Le sujet : chacun devait écrire sur un bout de papier un mot qui constituerait un cadeau insolite. Ensuite, tirage au sort, puis raconter une histoire de Noël autour de ce mot et que le meilleur gagne !
En théorie, c'était un cadeau que nous faisait Sophie Pavlovsky pour la dernière de l'année 2011. Sauf que bien entendu, c'était sans compter sur les idées loufdingues des uns et des autres pour piéger les copains. Samuel a eu "des yeux derrière la tête", Marguerite a eu un "vibromasseur", Maïtena un "ver luisant électronique", Marc une "brouette", etc.
Comme à chaque fois, je suis arrivé en retard à la bibliothèque, alors il ne me restait que deux possibilités : "un bon pour une heure de lecture à la bibliothèque", ou "un roman". Coup de bol, je suis tombé sur le deuxième! Enfin coup de bol si on veut, car le mot n'avait rien d'insolite. Allez écrire un truc original avec un sujet pareil... Mais Sophie avait apporté des Ferrero Roche D'or pour nous inspirer. Et, vous le savez, le chocolat et moi, c'est une grande histoire d'amour. J'ai posé deux premiers mots sur le papier et le déroulé de l'histoire que j'allais écrire s'est affiché en lettres de lumière dans mon esprit. C'est sortit tout seul, presque sans que j'y réfléchisse !
Et voilà le travail :

Stéphane pleurait comme une Madeleine sur le canapé du salon. Chaque année à cette période, il commençait à se morfondre dès le premier du mois. Il vivait seul depuis toujours ou presque, et n'avait même pas d'animal pour lui tenir compagnie, dans son très modeste appartement HLM, encombré de vieux cartons remplis de choses inutiles amassées au fil des ans. D'ailleurs qu'aurait-il fait d'un chat, d'un chien, ou même d'un lapin, lui qui était à peine capable de s'occuper correctement de lui-même? D'où la raison pour laquelle il était toujours célibataire, d'ailleurs. Son travail, ou plutôt devrait-on dire, son ex-travail de veilleur de nuit n'était pas fait pour aider aux rencontres. Et depuis qu'il avait été licencié pour avoir essayé de se connecter à Meetic pendant son service, il végétait dans son gourbi, allant inlassablement du frigo quasiment vide au placard à provisions (qui ne valait guère mieux), en passant par de longues stations devant l'écran de télévision poussiéreux, dans lequel s'égrenaient pubs insignifiantes et clips mielleux.
Plus il se rapprochait du 25 décembre, et plus Stéphane avait envie d'en finir avec sa vie sans intérêt. Il ne valait rien! Sa mère le lui avait suffisamment répété, jusqu'à ce qu'il se décide enfin à la quitter avec pertes et fracas, il y a une vingtaine d'années. Il était destiné à mourir seul, sans ami, sans famille et sans regret. Depuis qu'il était sans boulot (et bientôt sans logis), il se disait qu'il n'avait plus rien à perdre.
Non, décidément, il ne supporterait pas un réveillon de Noël de plus. Sortant de son marasme enfin déterminé à passer l'arme à gauche, il repoussa l'échéance au 24 décembre à 13 heures pile. Ce jour là, il irait exploser son compte en banque une dernière fois pour s'offrir un repas de roi avant de se défenestrer. Il avait raté sa vie, mais il réussirait sa mort! Du quinzième étage, quand même, il avait peu de chances de se rater... "Allez, cochon qui s'en dédit", avait-il parié, tout en enquillant l'équivalent d'un petit ballon de rosé, qui trainait dans le fond du réfrigérateur depuis des mois.

Le jour J, Stéphane tint ces engagements, contractés envers lui-même : il claqua 300€ en gourmandises diverses au Shoppy du coin, se goinfra comme un porc et se saoula à s'en rendre malade avec du champagne de supermarché et attendit patiemment - vautré dans son canapé élimé - que son réveil digital lui indique l'heure fatidique de ses chiffres brillants d'un rouge diabolique.
La sonnette de la porte d'entrée le sortit de sa torpeur empoisonnée à midi et 55 minutes. Il crut d'abord qu'il avait rêvé et faillit s'assoupir à nouveau. Il trouva la force de se lever au second coup.
Tiens ! Le facteur daignait monter jusqu'à chez lui cinq minutes avant qu'il ne se jette dans le vide. Et tout ça alors qu'il n'avait pas reçu de courrier depuis des semaines - mise à par sa lettre de licenciement, bien sûr. Amusant ! Avec un peu de chance, le postier serait même le premier à trouver son cadavre en sortant du bâtiment ! Stéphane signa l'accusé de réception d'un air absent, dans les vapeurs de champagne. Il referma la porte au nez du facteur, qui s'attendait sûrement à un accueil plus chaleureux en cette journée de fête et retourna s'affaler sur le sofa miteux, d'où s'érigea un nuage allergène.
Il regarda l'enveloppe sans vraiment comprendre de qui elle provenait ni ce qu'elle pouvait bien contenir. L'odieux réveille-matin marquait 12:59. Ça lui laissait une petite minute pour jeter un œil à cette lettre inattendue. Si c'était une facture ou un avis de passage de l'huissier, ce serait une bonne raison pour partir sans regret !

Il déchira maladroitement l'enveloppe avec ses dents et déplia la missive. Ça alors ! Une lettre d'Albin Michel ! Stéphane avait complètement oublié qu'il leur avait envoyé, six mois auparavant, le manuscrit qu'il avait passé sa vie à peaufiner pendant ses heures de boulot, entre ses rondes de nuit ! Il lut fébrilement.
"Monsieur, c'est avec un immense plaisir que nous vous informons que votre roman a retenu toute l'attention de notre comité de lecture. Après quelques petites corrections que nous vous suggérons dans la fiche de lecture ci-jointe, nous pourrons envisager de le publier pour la rentrée littéraire de l'année qui vient. Etant donné la qualité de votre travail, nous pensons que votre livre pourrait même concourir pour le prix Goncourt. Si vous êtes toujours à la recherche d'un éditeur et que notre proposition vous intéresse, vous trouverez un contrat d'édition en annexe de ce courrier. Il vous suffit de le lire, de le remplir, dater et signer en trois exemplaires, puis de venir nous l'apporter dans nos locaux au jour et à l'heure qui vous plairont. Dans l'attente de votre réponse, blablabla... Bien cordialement, blablabla..."

Le Noël d'après et les vingt qui suivirent, Stéphane ne fut plus jamais seul.

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