jeudi 15 décembre 2022

VIS MA VIE D'ÉCRIVAIN #2

Un autre truc particulièrement énervant dans les salons du livre, ce sont les auteurs qui chopent les gens au vol et qui forcent à la vente. Le plus souvent et fort heureusement, la plupart des écrivains qui recourent à ce procédé, que j’estime déloyal*, le font sans trop insister. En général, si ça ne mord pas, ils lâchent l’affaire. Mais il existe des spécimens qui n’ont aucune morale et qui ne s’arrêtent jamais : 

  • Ils apostrophent les gens par tous les moyens possibles, avec culot et mauvaise foi : « Vous avez une belle écharpe orange, Madame ! Figurez-vous que dans mon dernier roman, l’héroïne porte aussi une écharpe orange ! Coïncidence, je ne crois pas, non… » ou alors : « Vous avez quelle âge mademoiselle ? 10 ans ? Quel bel âge ! comme l’héroïne de ce roman ! » et hop, que je te fourre le livre entre les mains, que je me rapproche le plus près possible en plongeant mes yeux irrésistibles dans les tiens et que je te blablate jusqu’à ce que tu cèdes au vertige… Ce rentre-dedans marche presque à chaque coup !
  • Ils te glissent (quasiment de force) leurs livres dans les mains. Du coup, difficile de s’échapper. Beaucoup cèdent parce qu’ils sont conquis (l'auteur est un séducteur né), ou alors parce que l’auteur leur fait pitié (oh, le pauvre petit pépé, il a l’air si gentil…) ou parce qu’ils veulent juste qu’on leur foute la paix. Rares sont les poissons qui s’échappent de ces grossiers filets.
  • Ils vont chercher le chaland dans les allées, parfois loin de leur stand : « Je vois que vous êtes perdu ! Venez par ici, que je vous montre le meilleur stand de ce salon ! » ou encore : « Vous, vous n’avez pas encore lu mes livres ! » et zou, le lecteur est pris.
  • Parfois, ils viennent voler des curieux directement sur ton stand, en n’hésitant pas à dénigrer ouvertement ton travail, mais toujours avec le sourire et sur le ton de la rigolade : « Oh, salut Jean-Louis ! Tu me cherchais je vois ! je suis de ce côté-ci, viens ! » Et hop, le client qui aurait pu rester un peu plus longtemps à feuilleter tes bouquins suit le copain requin et tu perds une occasion.  Parfois, ça va plus loin : « Ah mais faut pas rester là, ils ont le Covid ! » ou encore plus direct : « Mais que faites-vous là ? Venez voir mon stand, il est bien plus beau que le leur ! En plus, c'est nul ce qu'ils font ! » Le pire, c’est que ça fonctionne. 

Alors on pourrait m’opposer que ce sont de simples techniques de marketing un chouïa offensives, et que si je savais faire, j’en ferais de même. FAUX ! La preuve : quand je rentre dans une boutique pour voir les produits et que le vendeur me saute dessus avant même d’attendre les 5 minutes réglementaires, ça m’agace tellement que je fuis sans acheter. Et vous me connaissez, dans la mesure du possible, je ne fais pas aux autres ce que je n’aimerais pas qu’on me fasse.

*Je trouve le procédé déloyal parce qu’on est tous dans la même galère, mais on n’utilise pas tous les mêmes armes. En plus, les auteurs qui s’adonnent à ces méthodes vendraient quand même plus que les autres, sans cela : ce sont souvent des écrivains/vaines d'un certain âge avec une production longue comme le bras et accompagnés par des réseaux de distribution qui ont fait leurs preuves. Pour terminer, dans un salon du livre classique (dans une grande salle, tous entassés les uns contre les autres), c’est difficile de sortir du lot. Et le lecteur qui a acheté 3 livres sur le stand du requin-marteau d’à côté soit :

  • ne s’arrête pas à ton stand quand il ne l’ignore pas carrément,
  • te répond qu’il ne peut pas acheter tous les livres du salon – alors que tu lui as juste dit « bonjour monsieur », par pure politesse…
Il y a même certains salons régionaux (les plus gros, en général) où les requins, barracudas et autres piranhas sont tellement nombreux, voraces et cannibales que je n'ose plus y mettre les pieds. C'est bien plus valorisant de faire des marchés de Noël ou des fêtes de l'espadrille !

Mais le pire, dans tout ça, c’est quand le fameux « grand squale » trouve quand même le moyen de venir te narguer en te racontant – sans une once de tact – qu’il a vendu comme jamais, voire à te sortir le bilan chiffré de ses ventes quand c’est vrai.

J’ai envie de dire : « mais on s’en balek de tes stats, mec ! On sait bien que tu vendrais père et mère si ça rapportait » ! Mais moi, quand je fais des salons du livre, ce n’est pas pour faire du chiffre, mais pour que mes livres soient vus et lus. Et même si c’est par une poignée de personnes, c’est toujours ça. Et puis je préfère la qualité à la quantité. C’est pour ça que je ne me battrai pas comme si ma vie en dépendait. D'ailleurs ce n’est pas le cas : à côté de l’écriture, j’ai un job qui paie mes factures et que j’aime bien (coup de bol). Ce que je fais, je le fais par passion uniquement, mais sans autre ambition que de faire passer un bon moment à mes lecteurs, fussent-ils rares.

Alors si ça vend, c’est cool. Si ça ne vend pas, c’est pas grave, on, fera mieux la prochaine fois ! En attendant, et même si les requins en question restent relativement fréquentables, malgré un égo et un esprit de compétition surdimensionnés, qu'ils ne s'étonnent pas si on s'arrange pour être positionnés le plus loin possible d'eux 😁

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