dimanche 5 janvier 2025

ON NE PARLE BIEN QUE DE CE QU’ON CONNAÎT…

C’est, du moins, ce que prétend la maxime. Mais est-elle applicable au travail d’un romancier ? Je me pose cette question car je suis en train de terminer « Dernière nuit à Twisted River », excellent roman de John Irving, et le personnage principal, un romancier (ça ne s’invente pas), s’amuse s’agace de cette manie qu’ont les journalistes de toujours chercher à savoir si tel ou tel personnage, telle ou telle situation, sont directement inspirés de la réalité, de l’expérience ou de la vie de l’auteur : « Quant aux anciens journalistes devenus romanciers, ils adhéraient tous à ce morne précepte hemingwayien : parler de ce qu’on connaît. Foutaise ! Il ne faudrait parler que des gens qu’on connaît ? Ô combien de romans mortellement ennuyeux on commet au nom de ce principe fumeux et boiteux ! »

Avec ma petite expérience d’écrivain local, je dois également répondre à ce genre de questions lorsque je sors un bouquin : « Est-ce que c’est autobiographique ? Est-ce que ce personnage – qui en prend plein la gueule – ne serait pas directement inspiré de tel chef d’entreprise (et ancien maire), qui a un jour été ton patron ?  Est-ce que celui-ci ne serait pas le portrait craché de ton ex-femme ? Il a vraiment fait ci, elle a vraiment dit ça ? » À la décharge des gens de la presse, dont j’ai fait partie durant la première décennie de ce millénaire, je situe les histoires que je raconte sur mon lieu de vie (tout comme beaucoup d’autres auteurs, John Irving ou Stephen King inclus). Forcément, cela peut laisser penser que je parle aussi des gens d’ici et que je chercher à régler des comptes. Difficile de contredire…

Pourtant, et mis à part « Mauvais berger ! », qui est une tranche de vie dans laquelle je n’ai rien inventé, mes livres sont en grande majorité des histoires fantastiques, ou des thrillers horrifiques. Ce sont des romans, c’est à dire des histoires créées de A à Z, avec des personnages entièrement construits pour l’occasion. Même le cadre où se déroule l’action n’est pas exactement conforme à la réalité. C’est une Soule fantasmée, où seules les grandes lignes (les couleurs, les forêts, le nom des lieux et des collines…) sont respectées. Le reste étant comme une empreinte de pas dans la neige. On sait que c’est un pied chaussé de crampons qui l’a faite, mais ce n’est pas le pied en lui-même que l’on voit. Juste le souvenir plus ou moins lointain et dégradé qu’il a laissé après son passage.

Pour les personnages, c’est à peu près la même chose. La différence, c’est qu’ils sont davantage des amalgames d’empreintes que des emprunts directs à telle ou telle personne réelle. Tout comme les monstres/robots en Légo que je fabriquais, enfant, ce sont de pures constructions, uniques, faites de briques existantes et que je m’amuse à mixer dans tous les sens, flirtant souvent avec la caricature (je ne m’en cache pas). Par exemple, pour « Antton Aguer », qu’on retrouve brièvement dans « L’infection T1 : Contage » et dans « Le Moment ou jamais », certains traits de caractère sont empruntés à tel politicien local, d’autres à tel manager d’entreprise, et d’autres encore à deux ou trois autres tyrans rencontrés tout au long de ma vie. Il y a même du « Aimé De Mesmaeker » chez Antton Aguer, pour ceux qui auront la référence ! C’est d’ailleurs l’image qui me guidait parce que je souhaitais coller une dimension tragi-comique à ce personnage.

Vous l’aurez compris, mon but n’est pas d’afficher qui que ce soit en particulier, mais qu’au final, personne – ou n’importe qui – puisse se reconnaître dans ces figures peu nuancées.
En conclusion, mes personnages s’inspirent de la réalité, mais ils ne sont pas la réalité. Ils viennent de moi, ils sont moi. Ce sont des interprétations personnelles d’empreintes déformées laissées dans ma vie par une multitude de vrais gens. Peut-être me suis-je inspiré de quelques-unes d’entre vous pour créer « Jessica » (dans « Les Routes du crépuscule ») ? Peut-être que j’ai décalqué des petits bouts de votre personnalité lorsque j’ai construit « Patrice Bodin » (dans les trois tomes de « L’infection ») ? En tout cas, vous seriez bien bêtes de vous en offusquer, si jamais vous vous reconnaissiez ! ^^