lundi 15 mai 2023

JUSTE UNE FUGUE D'ADO

En préambule : 

Bonjour à toutes et à tous ! Je m'apprête à supprimer définitivement mon blog "Xiberoland" (ou "correspondant-de-presse-64", ou "CLP64"), sur lequel je n'écris plus rien de consistant depuis des années. Ce n'est pas que la source de ma toute nuisance se soit tarie, mais plutôt que j'ai mûri. J'ai enfin appris, après 52 ans d'existence, que vouloir changer la société humaine, même à ma minuscule échelle, était vain. Les Hommes sont les créatures qu'ils sont. S'ils veulent détruire leur maison et leurs congénères pour gagner une poignée d'euros de plus, pour un poste avec un tout petit pouvoir de plus, qui suis-je pour les en empêcher ? Faites ce que vous voulez, je m'en lave les mains. 
Désormais, je n'ai plus envie de batailler pour autre chose que pour moi-même (et "mon œuvre"), c'est pour ça que ce blog-ci continuera d'exister aussi longtemps que j'écrirai. Cependant, j'ai pondu quelques textes que j'estime valables (littérairement parlant ou potentiellement amusants) dans "Xiberoland" et je ne veux pas qu'ils disparaissent à jamais d'un simple clic. Je vais donc les republier ici dans leur quasi intégralité, pour ceux à qui ça peut faire plaisir (dont moi). 
Pour les retrouver tous, il suffira de rechercher le tag "Azazel" dans les mots-clés de ce blog. "Azazel" en hommage à ce livre. Bonne lecture !

JUSTE UNE FUGUE D'ADO - 5 mars 2019

L'histoire que je m'apprête à vous conter date du début des années 80, c'était le bon temps des Goonies : je devais avoir entre 11 et 12 ans. A l'époque, j'étais au collège Elysée Mousnier, à Cognac. Je n'y étais pas heureux. A vrai dire, je n'ai jamais été heureux dans le milieu scolaire, que ce soit à la maternelle, à l'école primaire, au collège ou au lycée, ni même à la fac. J'ai toujours considéré le système scolaire tel qu'il a été pensé comme un moule rigide et froid fait pour formater l'esprit fantasque et spontané des enfants, afin d'en faire de bons citoyens dociles et endormis. L'école nous prépare depuis toujours à devenir de parfaits petit suppôts du macronisme !
Certains s'adaptent à la perfection à ces contraintes, beaucoup jouent le jeu pour survivre mais n'en pensent pas moins. Et puis il y a les autres, ceux qu'on appelle les "médiocres", les "paresseux", des qualificatifs moyennement sympathiques qui revenaient souvent dans les appréciations de mes bulletins de notes. 
Ces notes (mauvaises) qui ne servaient qu'à instaurer complètement ce système de compétition et qui m'écrasaient littéralement, m'ôtant toute envie de faire des efforts (le courage ne m'a jamais étouffé, faut dire)... Sans oublier les profs sectaires, ou élitistes, et/ou détestables (pas tous, heureusement)... Les cours de sports où, depuis le banc de touche sur lequel j'étais régulièrement consigné (la faute à mon incompétence et à mon rejet absolu des jeux collectifs), je devais regarder des heures durant deux équipes de couillons en short se disputer une pauvre baballe... Et puis la cour de récré, où il fallait se faufiler le plus discrètement possible afin d'éviter de tomber sur les "bandits" qui vous agressaient pour un jean acheté chez Leclerc au lieu de chez Carnaby (ou l'inverse) ou pour un bouton jaunâtre dans l'aile du nez qui ne leur revenait pas... Bref, Vous l'aurez compris, j'ai vécu l'école comme un long cauchemar (ce qui est relativement triste, pour un fils de profs...). 
L'école, c'est mon Vietnam à moi. Ça m'a tellement traumatisé que j'en rêve encore parfois la nuit, lorsque je suis habité par un grand stress. A ces occasions, je me retrouve à déambuler cul-nu (ou en pantoufles, si ce n'est les deux en même temps) parmi les autres élèves - tous habillés, eux -, dans la cour de récréation. J'essaye de planquer mon intimité comme je peux en tirant sur mon tee-shirt devant et derrière, même si ça n'a aucun sens puisque personne ne semble remarquer quoi que ce soit de ma situation délicate ! En général, je me réveille de ces rêves idiots avec un sentiment profond de honte et d'incompréhension. Je vous rassure : ça passe sous la douche... ^^
Et comme s'il fallait rajouter du stress au stress, le soir en rentrant, j'étais noyé de devoirs insipides et fatigants quand il ne fallait pas, en plus, que je ruse pour cacher mes mauvaises notes à mes parents. Pour ce faire, j'ai dû user (sans succès) d'à peu près tous les stratagèmes imaginables. A chaque fois, j'ai fini par me faire gauler ! Avoir des parents profs, ça peut être un avantage (ils ont la capacité - et le désir - de vous aider à progresser) mais aussi un inconvénient : ils connaissent tous vos trucs tordus et sont surtout très exigeants. Pour eux, votre échec scolaire n'est pas une option envisageable : vous DEVEZ réussir, point. Question d'honneur ou question d'époque ? Je ne saurai dire. 
Attention, je ne suis pas en train de leur reprocher quoi que ce soit, hein ? Je pense que mes parents ont fait ce qu'ils ont pu (avec les moyens du bord) pour mes frères comme pour moi. Ils l'ont fait avec amour et nous n'avons été privés de rien. Certes, ils étaient exigeants. Ça, je ne peux pas le leur enlever. Mais en même temps, comme dirait Macron (encore lui !?), sans leur investissement quotidien pour essayer de me sortir de ma médiocrité, sans leur insistance pour que je réussisse un minimum à l'école, qui sait ce que je ferais aujourd'hui ?  Sûrement pas écrire cette bafouille, j'en suis persuadé !
Longue introduction pour poser le décor... Mais revenons au début de ce billet !


💿 PARTIR UN JOUR, SANS RETOUR... GNAGNAGNA... SANS SE RETOURNER, NE PAS REGRETTER...


Tout cela constituait beaucoup trop de pression pour mes frêles épaules de pauvre petit adolescent, qui commençait à être affolé par ses hormones, qui plus est. Quand je vous parlais de cauchemar tout à l'heure, je n'exagérais pas. Je le vivais vraiment comme tel et ne voyais pas d'autre échappatoire que la fugue. Fuir, plus pour faire prendre conscience de mon mal-être à mes parents que pour réellement disparaître de la surface du monde. Je ne nierai pas : comme tout ado en crise, il m'est arrivé de penser au suicide. Mais  le côté définitif de l'entreprise a quelque peu bloqué ma réflexion à chaque fois que j'ai été tenté. C'est pour cela que l'idée de la fugue a peu à peu germé dans mon esprit perturbé, et s'est fait de plus en plus précise. Un mercredi après-midi de grosse colère (ma mère, qui venait de découvrir ma dernière "caisse" en français, malhabilement supprimée de mon carnet à l'effaceur, m'avait puni en me consignant dans ma chambre) j'ai décider de sauter le pas : j'allais partir pour de bon !

Alors, tout en pleurnichant de rage, je me suis préparé au grand départ : j'ai trouvé un petit sac en toile simili cuir dans lequel j'ai placé mon canif multifonction fétiche, une carte routière obsolète, une boussole pas super fonctionnelle et un vieux K-way. J'ai attendu que ma mère parte faire des courses, j'ai attrapé mon balluchon, un bâton et je suis parti en ânonnant quelque gros mot à l'attention du monde des adultes, de l'école, de la vie elle-même. "Tu vas moins faire la maligne quand tu vas rentrer et que je ne serai plus là, c'est moi qui te le dis ! Je m'en vais pour toujours, voilà ! Adieu et je ne reviendrai jamais !", me rabâchais-je, soudain épris de cette liberté nouvelle et prometteuse. Je me revois en train de marcher d'un pas décidé en direction de Châteaubernard, les poings serrés, tout en me congratulant de mon courage et de ma volonté soudains. J'étais Etienne sans famille ! Huckleberry Boyer ! Alexander Supertramp (bien avant Chris McCandless - avez-vous noté la référence ultime et cette savoureuse rupture du continuum spatio-temporel ?) !
Au bout du lotissement, j'étais déjà en train de réfléchir à l'endroit où j'allais dormir, une fois la nuit venue. Pas grave : un pont quelconque serait mon abri de fortune. "C'est pas ça qui va arrêter un Boyer, c'est moi qui vous le dis !"
Et pour manger, eh bien je... Gulp !
J'ai regardé ma montre : 16h30. C'était l'heure du goûter, comme pour me narguer... J'ai stoppé mon périple au beau milieu du pont, et j'ai réfléchi une poignée de secondes...
Derrière moi : la maison, ma chambre, le confort de mon lit, le goûter succulent qui m'attendait (et tous les suivants)... Mais aussi l'école, les notes, les parents qui ne me lâcheraient pas. Et devant moi : les vignes charentaises à perte de vue, l'aventure, la vraie vie, l'inconnu... Mais aussi le froid, la bouillasse, la solitude, la crasse et surtout la faim... Et peut-être les flics ou la morgue en conclusion. Cruel dilemme...
Je vous avoue que je n'ai pas mis longtemps à me décider. J'ai soupiré de dépit et j'ai rebroussé chemin en traînant des pieds. Pour la peine, une fois bien calé à la table de la cuisine, je me suis servi une double ration de pain et de chocolat abondamment arrosés de jus d'orange. Eh quoi ? Il fallait bien que je me console de ma déception (de moi-même) et de ma lâcheté, non ?!
Enfin rassasié, je suis remonté dans ma chambre pour méditer sur le sens de la vie au lieu de faire mes devoirs, mais pendant très longtemps, j'ai gardé le balluchon tout prêt sous mon lit, au cas où cette fois-ci, je partirais vraiment pour de bon et pour toujours.
Le soir-même, j'ai commis l'erreur de raconter cette histoire à mon frangin (celui du milieu) qui s'est ensuite bien foutu de ma gueule pendant des années à cause de ce "petit sac" de fugueur raté...
Par contre, mes parents n'en ont jamais rien su. Enfin je crois... J'espère qu'ils ne se sentiront pas culpabilisés à la lecture de cette anecdote. Le but de cet exercice n'était évidemment pas de jouer les "enfances malheureuses" mais juste de raconter ce petit souvenir de ma crise d'adolescence avec cette tendresse et cette auto-dérision qui me caractérisent...
Papa, Maman, je vous aime et merci pour tout.