vendredi 7 octobre 2011

Chapitre 9 : “Renaissance”

Les premières pages du chapitre 9 de “Contage”, le tome 1 de L’infection, intitulé “Renaissance” :

La porte se referma derrière lui dans un roulis mécanique inquiétant. Le décor auquel il faisait maintenant face était dans le plus pur style post-apocalyptique, très prisé par de nombreuses communautés de MMORPG* Steampunk ou Cyberpunk : une mégalopole gothique déserte, grise, sale et à moitié en ruine, parsemée d'habitations fortement endommagées par des années d'abandon et de guerre civile, qui auraient suivi un hiver nucléaire. Les égouts exhalaient continuellement des colonnes de fumées glauques et putrides, qui montaient vers un ciel menaçant, que jamais un astre solaire faiblard ne parvenait à trouer. Des papiers gras épars flottaient ça et là dans l'air épais et trouble comme les routes de campagne sous  la chaleur du soleil d'été, chargé de particules allergènes et saturé de gaz âcres et probablement toxiques. Des déchets, débris et autres véhicules carbonisés et criblés de balles encombraient les rues où que le regard se pose. Un bruit sourd et distant résonnait par intermittence, interrompu régulièrement par des grésillements sinistres, et des annonces radio inintelligibles et angois-santes. Un peu comme s'il y avait encore une activité industrielle clandestine dans les tréfonds de l'asphalte craquelé. Le bruit du vent était aussi omniprésent, accentuant l'impression de solitude. Parfois, ce silence relatif était dérangé par des cris ou des grognements poussés par quelque créature abominable et sanguinaire, que l'on imaginait, avec raison, embusquée dans un recoin sordide. La ville était quadrillée par tout un réseau de canaux empoisonnés, eux mêmes traversés par les couloirs sinistres d'un métro désaffecté.
Infection portait bien son nom, et chacun de ses mètres carrés était potentiellement mortel.
Dans le corps de son avatar, Patrice comprit confusément dès les premières secondes de présence sur la SIM qu'il avait été dupé en beauté par Beau Smart. Ici, il n'était plus question d'assouvir ses fantasmes virtuels avec Matilda O'Hara, mais de survie pure et simple, car si par malheur il perdait ses points de vie, son esprit serait alors atomisé à tout jamais dans les méandres du web !
Il aurait bien voulu pouvoir revenir en arrière : refuser le marché pipé de Beau Smart, rester dans son corps, quitte à ne pas pouvoir se voir en peinture. Mais c'était trop tard ! Il était là, bloqué sur Infection, et il ne fallait pas qu'il se laisse aller car ici, une seconde de désespoir pourrait bien lui être fatale. Et puis de toute façon, il ne pouvait même plus accéder à la salle de contrôle, relativement sécurisante (par rapport au reste de l'île virtuelle), puisque le sas s'était bel et bien refermé derrière lui. Mieux même : il lui était carrément devenu impossible de dire par où il était passé pour entrer. Derrière lui, il n'y avait aucune porte, pas même un passage protégé avec digicode ; il y avait juste au fond de la ruelle un mur de moellons recouvert d'une sorte de fresque peinte à la bombe et représentant une nonne à l'air vicieux, faisant mine de s'enfoncer un tison ardent dans le derrière ! 
Alors bien sûr, il aurait pu se cacher dans un conteneur poubelles en attendant qu'un avatar passe le portail, mais il n'avait aucune idée du temps qui pourrait couler entre son arrivée et celle, illusoire, d'un éventuel autre. Il ne pouvait pas se permettre de rester plus longtemps dans ce coupe-gorge, où il risquait bien de se faire piéger. Alors il avança prudemment, à tâtons dans la pénombre ambiante.
Il fut surpris de constater que les textures des parois qu'il touchait, quoi que différentes, donnaient toutes la même sensation au toucher : c'était comme une immense surface plane, totalement lisse, et à température uniforme. En dehors de la vue, rien ne lui permettait de distinguer le bois du métal, le plastique du béton. Tout était constitué de la même matière, mais décorée de façon différente. Le lieu n'avait pas non plus d'odeur particulière et il se rendit compte, en mangeant une tablette de chocolat périmée ramassée dans un distributeur de junkfood éventré, que si la nourriture lui procurait encore du bien être (c'était déjà ça !), elle était aussi insipide que le reste. Autant manger un bout de carton, ou un vieux couvercle de Tupperware !
Tu vois, ce n'est pas la réalité, ce n'est pas la réalité, essayait-il de se persuader en mar-monnant, tout en sachant pertinemment que si, justement, tout cela était bien réel, et qu'il ne rêvait pas.
« J'ai pas mérité ça, bordel », se disait-il, cédant à la panique, tout en avançant prudem-ment. Mais au fond, il savait bien que tout ceci n'était que la conséquence directe de son mensonge initial. S'il avait été franc dès le début avec Mathilde, jamais il n'aurait eu à rencontrer ce monstre de Beau Smart. Elle l'aurait certes renvoyé paître dès les premières secondes, mais cela aurait été un moindre mal, et il n'en serait pas là aujourd'hui.
Arrivé au croisement avec une grande avenue, Patrice sortit de ses sombres pensées lorsqu'il entendit distinctement un feulement presque animal provenant du fond de la rue en face. Étrange avertissement quant au danger qu'il pourrait y rencontrer, s'il lui prenait l'envie de s'y aventurer.
Reste concentré, abruti, ou tu vas y passer avant même d'avoir pu la revoir, se morigéna t-il. Rappelle-toi que c'est pour elle que tu es là ! Tu dois te la gagner !

La large allée semblait déserte et dans un état de délabrement similaire à celle d'où il venait. Des files de voitures accidentées et apparemment vides ralentissaient sa progression. Les vitrines fracassées des boutiques alentours probablement pillées depuis longtemps, les portes vandalisées des appartements condamnés sommairement avec des planches vermoulues, des éclats de verre et des canettes de bière vides un peu partout : Patrice ne se sentait vraiment pas à l'aise, dans cette ambiance de fin du monde. Il devait parer au plus pressé : se ravitailler en nourriture, dénicher un abri sûr dans lequel il pourrait dormir sans crainte d'être dérangé, et trouver des armes pour se défendre en cas d'agression. Il se souvenait parfaitement avoir entrevu des images diffusées sur les moniteurs de caméras dans la salle de contrôle de Beau Smart, et il savait que tout était possible sur Infection, et surtout le pire, d'ailleurs.
Un second feulement, plus proche cette fois, se fit entendre alors qu'il passait tout près de la devanture de ce qui avait dû être un salon de coiffure, autrefois. Il fut instantanément suivi d'un grognement agressif, ne laissant aucun doute sur la nature de la créature qui l'avait poussé, et n'allait d'ailleurs pas tarder à se manifester.
Patrice eut juste le temps de se jeter sur le côté, avant que les deux morts-vivants ne l'atteignent. Il heurta durement la tôle carbonisée d'un bus scolaire, et retomba lourdement dans le caniveau, en bordure du canal. Le temps qu'il réalise la situation et qu'il se relève, les deux zombies étaient déjà sur lui ! Un troisième était même en train de sortir de la porte d'entrée du car, à une petite dizaine de mètres de lui. Encerclé, il ne lui restait plus qu'une seule option pour survivre, aussi insalubre et peu ragoûtante soit-elle : fuir en sautant dans le canal, puis courir à travers le dédale de tunnels des égouts.
Il se jeta donc dans le vide, et s'enfonça jusqu'à l'abdomen dans les eaux saumâtres et fétides. Curieusement, il ne ressentit aucune impression d'humidité, mais il se rendit vite compte que les vapeurs nauséabondes environnantes affaiblis-saient son organisme. Et de fait, au contact des fumées toxiques, son avatar perdait 2 points de vie ainsi que 5 points d'endurance toutes les cinq minutes sur un total de 100. Il ne pouvait pas se permettre de rester trop longtemps dans les égouts, bien qu'il sut instinctivement qu'il récupèrerait de ses abattis s'il trouvait des médicaments ou de la nourriture pour compenser.
Comme les morts-vivants l'avaient suivi, il se mit à courir dans l'eau verdâtre dans laquelle flottaient tout un tas d'objets hétéroclites, puis pénétra dans les tunnels vaguement tirés de l'obscurité par les néons de sortie de secours disposés approximativement tous les 20 mètres. Après un énième coude, l'espoir renaquit en lui lorsqu'il tomba sur une échelle en métal qui débouchait sur une plaque d'égout, et lui permit de remonter à la surface et de semer les goules visiblement affamées.
Patrice s'appuya quelques secondespour récu-pérercontre une vieille palissade toute de guingois, recouverte d'affiches de propagande politique délavées. Un état nauséeux, dû à l'aspiration d'émanations mortifères dans les souterrains ne le quittait plus. Mais un gémissement lointain, comme étouffé le sortit de sa torpeur. Il se redressa, essayant tant bien que mal d'ignorer le vertige qui le paralysait, puis tendit l'oreille. En se concentrant, il crut entendre un murmure... Non ! Une voix d'enfant qui appelait "au secours".
« Bon Dieu ! Ne me dites pas qu'il y a un gamin pris au piège ici, dans cette SIM infernale, comme moi », se dit-il, saisi à la gorge d'effroi. Se raisonnant, il réussit à se secouer, puis se rapprocha doucement de là d'où semblait venir l'appel. Plus il s'approchait et plus une impression de panique indicible se renforçait en lui. Cherchant du regard quelque chose qui pourrait lui servir d'arme, il remarqua que plusieurs silhouettes titubantes venaient d'apparaître au bout de la ruelle dans laquelle il se trouvait.
Encore ces foutus zombies, ragea t-il entre ses dents, tout en plaquant son corps dans un recoin d'ombre, entre une vieille boîte postale déglinguée et le panneau publicitaire vantant encore ce qui devait sans doute être une ancienne usine de fabrication de cartons d'emballages. Il remarqua alors un renfoncement improbable, sorte d'impasse exiguë entre deux bâtiments de brique à moitié en ruines, dans lequel il s'engagea. Une horde de rats énormes aussi gros que des chats de gouttière s'en échappèrent, mais semblèrent l'ignorer et ne vinrent pas l'attaquer. Il n'empêche que cette rencontre impromptue l'avait fait sursauter et vainement réprimer un cri.
Les gémissements devenaient de plus en plus nets au fur et à mesure qu'il se rapprochait de leur source, qui semblait être un genre d'atelier derrière une porte blindée entre-ouverte, dans le petit bâtiment lové tout au fond de l'impasse et qui lui faisait maintenant face. Mais les râles lancinants des morts-vivants qui se traînaient à quelques dizaines de mètres derrière lui, enflaient eux aussi. Il n'avait plus guère d'autre possibilité que de pénétrer dans le bâtiment et de refermer précautionneusement  la lourde porte en métal au nez rongé de pourriture et à la barbe de ses poursuivants. Il estima qu'il ne s'en sortait pas si mal, compte tenu du fait que les goules l'avaient rattrapé et grattaient déjà furieusement la tôle en éructant des borborygmes inintelligibles, mais pourtant lourds de sens quant à leurs intentions.
En réalité, comme Patrice s'en aperçut très vite, la porte s'était refermée sur lui telle une dionée vicieuse sur une mouche maladroite (...).
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*MMORPG : Littéralement “jeux en ligne, massivement multi-joueurs”, en français. Il existe de nombreuses communautés d’internautes qui utilisent les mondes virtuels (et notamment Second Life), pour vivre la vie et les aventures de leur avatar par procuration, dans des jeux de rôles en 3 dimensions et à thèmes.

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