Je vous ai déjà raconté que je dois énormément à mes
parents. Sans eux, sans leur obstination à essayer de m’inculquer le français
(et l’anglais), je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui. Mon père a bien essayé d'en faire autant pour les maths, mais là, c’était une cause perdue… Il aurait fallu tout reprendre
de zéro, probablement depuis bien avant les problèmes de fuites d’eau ou de retard de trains, qu’on
abordait en CM2 à l’époque.
Mais mes parents, s’ils ont été le rouage essentiel, n’ont pas été les seuls à avoir une influence
positive sur ma scolarité. Je voudrais aujourd’hui rendre hommage à deux
femmes, dont je n’ai encore jamais parlé ici, ou alors très peu. Mais avant ça,
quelques anecdotes sur ceux qui ont bien failli avoir ma peau !
En septembre 1982, j’entre en sixième au collège Elysée
Mousnier, à Cognac. Mon professeur de français s’appelle Monsieur Chagnoleau. C’est un type pâle et moustachu, maigre, un peu voûté, avec une tignasse de corbeau et
fagoté comme un curé. J’ai le sentiment qu’il me prend en grippe dès la
rentrée. Pour lui, je ne suis qu’un « petit protestant sainte-nitouche et
hypocrite » et il me soupçonne de faire mes coups en douce (il me le dira
des années plus tard, devant toute la classe de 3ème hilare, alors
que justement, à cette époque, je me suis assagi). Mais revenons à la 6ème…
En milieu d’année, le prof nous donne un sujet de rédaction sur table à rédiger
en deux heures : « décrivez votre héros ». Spontanément, je
pense à mon père mais très vite, je me dis que c’est trop téléphoné : tout le
monde va choisir son père, c’est tellement évident ! Alors après moult
tergiversations, « j’invente » un personnage piqué par une mygale et
qui se transforme peu à peu en grosse araignée bien poilue. Je ne me rappelle
plus trop des aventures que je lui fais vivre, juste de son nom évocateur (Mygalok - lol) et de la fierté qui m'étreint lorsque je tends ma copie au prof, dès que la cloche sonne.
Je sais, c’est pas terrible comme histoire et « légèrement » pompé sur SpiderMan.
A ma décharge, je n’ai que 11 ans. Chagnoleau me colle un beau 3/20 assorti
d’une critique lapidaire du genre : « que c’est médiocre !!! »
J’ai même droit à une remarque publique désobligeante lorsqu’il me rend ma
rédac' raturée de rouge. (Il rendait les copies par ordre décroissant, de 20 à 0, à l’ancienne,
avec un petit commentaire dithyrambique pour « le chouchou » et bien acerbe
pour « le cancre »).
Abonné aux « médiocres ! »
A partir de ce moment-là, le cours de français devient ma
bête noire. L’année suivante, Mlle Marchand prévient ma mère au mois
d’avril : « s’il part en voyage scolaire en Angleterre, je le fais
redoubler ! » Pourtant, je l’aimais bien cette prof de français. C’est
à peu près à cette période que ma mère a décidé de reprendre ma scolarité en main
(lire
ici).
L’année suivante, je me retrouve en 4ème avec
Mlle Bonnefoy et dès le premier cours, ça part en couilles ! C’est le cas
de le dire : à l’époque, entre mecs, c’est la grande mode (bien
intelligente) de « se castrer » les uns les autres. Mon pote Floris
Ausems choisit cette première heure pour
passer à l’action et je lâche un « ouch ! » de surprise, un peu
appuyé. « Bobonne » (c’est son surnom) me repère illico et me flanque
à la porte sans autre forme de procès. Le reste de l’année, je préfère ne pas
entrer dans les détails. Je ne suis pas un saint, j’avoue : comme tous les
autres, je tire des boulettes sur le tableau avec mon stylo bic, dès que la
prof a le dos tourné. Je machouille des morceaux de papier Canson que j’enroule
avec un cheveu dûment arraché à une fille (sans son consentement), auquel je suspends
un petit pendu découpé au préalable dans une feuille de mon cahier de
brouillon. Je projette le tout sur le plafond à la première occasion et ça fait
petit à petit toute une population de petits pendus rigolos qui tournoient au-dessus
de nous, dès que la porte s’ouvre.
Avec Bobonne, je me tape des caisses abominables. Des 3 en grammaire, des 4 en
rédac, des 0 en orthographe… Je planque une grande partie de ces notes à mes parents
(merci l’effaceur). Ils me tiennent déjà assez à l’œil pour les matières
scientifiques, inutile que je leur montre à quel point je suis nul, en français
aussi !
En cours d’année, Mlle Bonnefoy envoie une lettre de quatre pages à mes
parents, dans laquelle elle leur décrit par le menu à quel point je le suis (nul),
à quel point je suis inutile et me prédit un avenir sombre, vide et pénible.
Mes parents ont conservé cette lettre pendant des années. S’ils l’avaient
gardée plus longtemps, je l’aurais faite encadrée tellement elle était ignoble
(et bourrée de fautes et de ruptures de construction).
Du coup, à la fin de l’année, je ne peux plus y couper : on m’impose le
redoublement.
Au début de ma seconde 4ème (Malédiction ! J’ai encore Bobonne !),
le travail persévérant, presque obsessionnel de ma mère commence à payer. Mes notes de français remontent
et je passe de 9 à 14 sur 20. Le jour de la rencontre parents/profs (en octobre
ou novembre), Mlle Bonnefoy dit à ma mère que c’est normal que mon niveau soit
meilleur cette année : ça fait deux ans qu’elle m’a comme élève !
Ben tiens…
Un grand MERCI, Mmes Viaud et Schoenzetter !
Je ne vais pas radoter en vous racontant à nouveau que c’est elle – Mme Viaud –
qui m’a montré que je pouvais écrire des choses intelligibles et marrantes, si
je voulais. Vous pouvez lire
cette anecdote ici !
Après une 3ème poussive et chaotique, j’embraye
sur le lycée Jean Monnet et je me retrouve en seconde générale avec seulement 4
garçons. Les filles de ma classe (pas toutes, heureusement) sont « à l’âge garce »,
je suis mal dans ma peau de petit ado grassouillet, efféminé et boutonneux. Ma
prof de Français s’appelle Mme Schoenzetter. C’est une « grande »
femme blonde frisottée aux yeux très expressifs et d’un beau bleu-piscine, avec
un nez pointu et les dents du bonheur. Elle possède une classe naturelle, a une
élocution un peu gutturale et une façon d’enseigner sa matière qui me donne
envie de travailler, de faire des efforts, de m’améliorer. Au risque de passer
pour un petit Macron, je vais oser le dire, mais je la trouve très belle et surtout
très humaine ! D’ailleurs je me dispute le premier rang avec mes camarades
de classe, pour être à portée de ses postillons. Avec elle, c’est un délice de suivre le
programme. Même les poètes romantiques ou symbolistes (dont je n’ai d’ordinaire
que foutre) glissent dans mes oreilles comme de la musique divine. Elle a su me
faire aimer Flaubert, Diderot, Musset, Verlaine ou Rimbaud. C’est grâce à elle que
je me suis mis à apprécier les subtilités de la langue française, si j’ai
commencé à prendre plaisir à écrire, à vouloir raconter des choses.
Et c’est encore elle qui m’a poussé à m’orienter vers la section littéraire
(A2) ; en même temps, qu’aurais-je pu faire d’autre ?
Je suis donc enchanté de la retrouver en première, en tant que prof principale
de surcroit. Et même si elle insiste très lourdement et dès la première heure pour
que je me présente comme délégué, puisque je suis le seul mec de la classe (!).
Je sens que sur le moment, mon refus catégorique l’a déçue. Mais à l’époque, je
ne me vois absolument pas représenter mes camarades de classe, qui sont pour
beaucoup assez cruelles et superficielles. C’est l’âge bête, comme on dit !
Et puis être élu, ça ne s’invente pas. C’est un métier.
Aujourd’hui, je ne sais absolument pas si Mmes Viaud et Schoenzetter sont toujours de ce monde (c’était il y a plus de 30 ans, tout ça) ni si elles se souviennent de moi aussi clairement que je me souviens d’elles, mais j’espère que oui. Je me demande ce qu’elles penseraient de mes livres si elles les lisaient et surtout, ce qu’elles se diraient si elles savaient que quelque part, elles en sont un peu responsables ! Je suis très loin d’être une star de la littérature française et ce n'est absolument pas mon ambition : je suis très heureux de faire ce que je fais. Alors merci pour ces moment, Mesdames ! ❤
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