La prochaine fois que nous imprimerons "Mauvais berger !", ce sera la fameuse version augmentée au format poche dont je parle depuis des années. Voici un des derniers petits textes qui font partie des bonus inédits que vous trouverez dans cette version ultime et définitive* :
Je suis
fasciné par la façon dont Christophe appelle ses chiens, les troupeaux, ou
interpelle les touristes un peu trop invasifs. Sa voix de Stentor porte loin mais surtout, il siffle comme un cowboy (ou
une marmotte, mais c'est moins Badass) et le son puissant et aigu qu'il produit
se répercute sur les flancs des montagnes qui encerclent le plateau. Il perce
même le coton du brouillard, c'est dire ! Parfois, j'ai même peur que la
vibration ne décroche un rocher. Quand il le fait, je vérifie toujours, au cas
où, mais ça n'arrive jamais...
Je réalise
que j'ai bientôt 27 ans et que je ne sais pas siffler autrement que comme
Micheline Dax. Plus comme Micheline, que comme Dax, d'ailleurs...
Je lui
demande de m'apprendre à siffler comme lui. Il accepte et m'explique de quelle
façon il positionne sa langue entre ses mâchoires, contre son palais et comment
il expulse l'air pour créer ce son. Mais évidemment, je n'y arrive pas. Ça
demande un certain entrainement et je n'ai pas trop le temps, ni l'envie de
paraître encore plus ridicule.
― Sinon,
il y a la méthode niveau débutant, me lance-t-il, avec un air goguenard.
― Ah
oui ? Et on fait comment, alors ? réponds-je, jouant les agacés.
― Facile !
Tu insères tes index aux coins de ta bouche, tu colles le dessous de ta langue
au bout des doigts, et tu souffles.
Il joint
l'acte à la parole. La magie opère. Je tente de l'imiter. Je porte mes doigts à
la bouche. Je ne sais pas ce qui me fait baisser les yeux au dernier moment,
mais c'est sûrement l'instinct de conservation. Nous venons de traire et j'ai oublié
de me laver les mains avant d'envoyer les bêtes sur leur parcours.
Elles sont aussi sales que mes bottes. Elles sentent la merde de moutons et le
lait caillé. J'esquisse une moue de dégoût, mêlée d'impuissance.
Il rit. Lui
a les mains immaculées, vierges de tout miasme, en apparence du moins ; celles
du gars qui sait travailler sans se saloper de la tête aux pieds.
Je frotte
sommairement mes horribles paluches à ma cotte de travail - comme si ça allait
faire une différence - et suis ses consignes. Je sens illico le goût salé de la
poussière, des matières fécales ovines et l'acidité du suint de leurs toisons.
Retenant un reflux, je me persuade que j'en ai vu d'autres.
Je souffle.
Je postillonne. Le rendu de mon sifflement est ridicule et le goût immonde a
fini par envahir totalement ma bouche. Je crache. Je crache encore.
― Rhaaa, c'est dégueulasse !
― Sinon, après, quand tu sauras bien faire, tu
fais comme un cercle avec ton pouce et ton index et tu fais la même chose, mais
d'une seule main. Celle qui est la plus propre...
*J'ai décidé que ce serait une version définitive parce qu'après 20 ans, je ne vois pas ce que je pourrais y ajouter de plus...
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