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Lors d'une séance de dédicace au magasin
des produits régionaux, à Mauléon en 2008. |
Euskobizia : Pourquoi ce livre et pourquoi un livre ?
Etienne H. BOYER : Au départ, j’ai eu besoin de revenir sur cette
histoire véridique qui me hantait depuis presque 10 ans. J’ai pondu la
trame du texte en quelques jours. C’est sorti tout seul, tel un jet de
sang en saccade, comme lorsqu’on s’ouvre une artère. J’ai décidé de le
publier tel quel, en trois épisodes sur mon blog.
Mais au fil du temps qui passe, j’ai senti qu’il manquait des choses,
que le récit pouvait être amélioré par des détails croustillants, des
descriptions de paysages, de mœurs du berger, et de clins d’oeils qui
n’ont aucun rapport avec la profession, mais plus avec mon éducation, ma
« culture générale » issue des années 70-80.
Mais il me manquait encore quelque chose, pour exorciser tout ça de
manière définitive. Le Net, c’est bien, mais ça reste quand même
paradoxalement très confidentiel. Je me suis dit que je pourrais faire
partager cette expérience à plus de monde en le faisant sortir du
virtuel. Alors j’ai décidé d’en faire un bouquin, avec des dessins et
des photos. Laurent Caudine (éditions Astobelarra – Le Grand Chardon) a flashé sur le concept, et m’a proposé de l’éditer. Et voilà !
Euskobizia : Pourquoi ce titre ? Est-ce une boutade ? Y avait-il d’autres titres qui t’étaient venus à l’idée?
EHB : Je n’avais pas de titre prévu. Celui-ci s’est imposé à moi,
comme une Lapalissade : je ne suis pas un bon berger. Donc si je ne suis
pas un bon berger, c’est que je suis un « Mauvais berger ! » CQFD ! (Je
t’accorde que j’aurais pu tout aussi bien l’appeler “l’exorcisme”, mais
on m’aurait classé dans les livres ésotériques…)
Un bon berger est capable de travailler 16 heures par jour (pendant des
mois) sans se plaindre, et dans des conditions parfois extrêmes. Un bon
berger aime son job, les bons comme les mauvais côtés, et le fait
consciencieusement en se fiant à la science, à son expérience et à son
intuition. Ce n’est pas mon cas. Moi, je suis plutôt du genre à
supporter difficilement de travailler 35 heures par semaines, alors tu
vois… Et quand je dis « travailler », c’est au sens « tripalium » du
terme (c’est à dire, « aller à la torture pour ramener de quoi manger à
la maison ») !
On peut ne pas aimer travailler et se rendre utile à la société. Ecrire,
dessiner… Ce n’est pas vraiment un « travail ». C’est plus une
occupation, mais c’est surtout un vrai plaisir pour moi. Et si ça plait
(ou déplait) aux gens, alors c’est utile ! Fin de la digression…
Pour en revenir au « Mauvais Berger ! », c’est aussi parce que c’est l’impression que j’avais de moi même à l’époque des faits.
Euskobizia : Ce livre sonne comme un règlement de compte, est-ce vrai ? Qu’est-il en plus ?
EHB : En réalité, c’est un exutoire, un récit catharsique. Je l’ai
écrit pour être en paix avec moi même, parce que je n’arrivais pas à
sortir d’un certain marasme psychologique dans lequel je pataugeais
depuis 1999, et qui me pourrissait la vie au quotidien. Il fallait que
je pose des mots sur cette expérience douloureuse, que je considère un
peu comme une petite mort (au sens propre du terme). En gros, je devais
faire mon deuil de cet échec professionnel!
Alors bien sûr, je ne suis pas tendre avec les protagonistes de
l’histoire, mais avoue qu’ils l’ont bien mérité, non ? Je ne fais que
leur rendre (avec beaucoup de retard) la monnaie de leur pièce. D’où le
proverbe détourné « Poignez vilain, il vous poindra ! »
Je règle aussi des comptes avec le patronat agricole, et par extension,
avec le patronat tout court, respectable et intouchable, prêt à toutes
les exactions pour faire du profit sur le dos de ses salariés.
Lorsque j’étais enfant, j’avais une prof de français qui était une pure
abomination. Physiquement, et moralement. J’aurais pu écrire un livre
rien que sur elle, tellement elle était… Atypique ! C’était une vieille
garce arrogante, frustrée et mauvaise comme la gale, qui me disait «
vous êtes un nul, et vous resterez nul toute votre vie »… Très similaire
au personnage principal du livre, finalement… Si bien que je rentrais
du collège complètement découragé. Mais mon père, ce grand sage, avait
trouvé la parade pour me remonter le moral. Il me disait : « t’as qu’à
l’imaginer constipée, en train de pousser au toilettes… Tu verras, ça
casse le mythe ! »
« Mauvais berger ! » tient un peu ce rôle là : rentrer dans le lard des
conventions, de l’abus d’autorité, des traditions, des profiteurs (ceux
que j’appelle vulgairement des « baiseurs d’innocents »), et de la haine
ordinaire.
Euskobizia : Pourquoi avoir attendu 10 ans pour se « débarrasser » de ce poids ?
EHB : En fait, je ne sais pas… ça devait mûrir au fond de moi, sans
que je m’en rende compte, un peu comme un vieux furoncle entre chair et
peau. Et puis un jour où ça faisait trop mal, j’ai pressé dessus, et
c’est sorti !
Euskobizia : Te sens-tu libéré aujourd’hui ?
EHB : Oui et non. On met généralement du temps à se relever d’un
harcèlement moral (n’ayons pas peur des mots) qui est allé aussi loin.
Mais bon… Je te dirais ça si j’en vend des millions d’exemplaires et que la critique est unanimement excellente !
Euskobizia : Ton livre est une autobiographie, tout est vrai, sauf les noms de lieux et des personnages ? Pourquoi ?
EHB : C’est plus une tranche de vie qu’une autobiographie. Je suis encore trop jeune et inexpérimenté pour écrire mes mémoires !
Oui, tout est vrai. Du moins de mon point de vue entièrement subjectif.
Je suis persuadé que les protagonistes de l’histoire ne verront pas les
choses de ma façon. A leurs yeux, je passerai sans doute pour un sale
petit ingrat et frustré, un calomniateur, voire un malade mental. Mais
j’ai pléthore de témoins qui confirment les impressions que j’ai eues…
Et puis le livre de Marie-France Hirigoyen «Le Harcèlement moral: la violence perverse au quotidien»
explique bien le processus et les techniques des harceleurs. Je le
conseille à tous ceux qui souffrent de la cruauté des autres au boulot !
Bref, c’est pour ça que j’ai changé les noms des personnages et les
noms de lieux.
Euskobizia : Tu es dessinateur
aussi. Ton livre est complet en fonction de tes divers talents. Ne
crains-tu pas que les personnages qui sont si ressemblants, se
reconnaissent ?
EHB : Fatalement, ils se reconnaîtront. Mais j’ai été confronté à un
choix difficile. Garder ces dessins, qui ne sont qu’une extrapolation
caricaturale, une vision déformée du personnage réel (vision qui
n’appartient qu’à moi), ou ne pas les publier. J’ai choisi (avec
l’assentiment de l’éditeur, après avoir consulté des avocats, un juge,
et un conciliateur de justice) de les publier parce que ce ne sont que
des caricatures, justement.
Et puis franchement, j’ai tout fait pour brouiller les pistes. Ce serait
bien le diable si le personnage principal assumait au grand jour qu’il
m’a esclavagisé, harcelé, embauché « au noir »… Je crois qu’il peut se
passer de la contre-pub supplémentaire occasionnée par un procès
retentissant!
Euskobizia : Avais-tu déjà pensé
écrire un livre lors des ces deux stages de berger, traitant de cette
affaire ? Et/ou quand cette idée t’est-elle venue à l’esprit ?
EHB : Non, je n’avais pas l’intention d’écrire quoi que ce soit. A
l’époque, je voulais juste être berger dans les Pyrénées, et je ne
savais même pas que j’avais des dispositions pour l’écriture. J’ai
compris ça bien plus tard, lorsque je suis devenu correspondant local de
presse pour Sud-Ouest, en octobre 2001. Et encore, si ma femme ne
m’avait pas poussée à postuler, je ne le saurais peut-être pas encore
aujourd’hui !
Euskobizia : Lorsque tu
interviewes des personnes et que tu rédiges, un article, sens-tu plus en
toi l’âme d’un « journaliste » ou celle d’un écrivain ?
EHB : Bonne question. Très judicieuse, surtout à l’heure où je viens
de démissionner du poste de correspondant local de presse pour
Sud-Ouest Béarn et Soule, que j’occupais depuis 2001 ! Je crois –en mon
fort intérieur-, que je construis généralement mes écrits comme des
articles. Plus précisément comme des dissertations ! Avec introduction,
développement (thèse, antithèse, synthèse), et conclusion. Je ne suis
pas vraiment un écrivain. Mais on peut raisonnablement dire que j’aspire
à le devenir, comme ça, en dilettante !
Euskobizia : As-tu envie de poursuivre dans l’écriture d’un autre récit ou autres ? Ou bien, est ce le premier et le dernier ?
EHB : Ma foi, puisque tu poses la question… Je crois qu’il fallait
que je sorte ce « Mauvais berger ! » avant de me lancer dans la
rédaction d’un autre bouquin moins personnel. Ce livre, c’est aussi pour
me prouver que je pouvais le faire, et que je pourrai le refaire !
J’ai déjà quelques idées pour un prochain truc, mais je vais laisser un
peu ma bécane pour quelques temps, dont le clavier a pas mal chauffé ces
derniers mois !
Euskobizia : Pourquoi avoir souhaité être berger ? Etait-ce une vocation ? Quand ? Pourquoi ? Comment ?
EHB : J’en parlais déjà en classe de terminale. Je disais à qui
voulait l’entendre que « je ferais mieux d’aller élever des chèvres dans
les Pyrénées plutôt que d’user mes fonds de culotte pour rien sur les
bancs du lycée ». C’était sur le ton de la boutade à l’époque ; ma façon
à moi de me rebeller contre le système.
Et puis en 1997 -j’étais alors agent de sécurité à Bordeaux- j’en ai eu
assez de la ville. Elle me sortait par toutes les pores de la peau. Les
embouteillages, les klaxons, les feux rouges, le stress… Je ne pouvais
plus, et ma femme non plus. Lorsqu’on avait des vacances, on partait
souvent randonner en Ariège, où nous avons des amis. C’est là que j’ai
rencontré le vieux Miguel. Il gardait des centaines de brebis (à viande)
sur les pentes du pic de la Calabasse. J’ai trouvé qu’il avait la belle
vie, et je me voyais bien prendre sa suite là bas, à jouer du pipeau
allongé sous un sapin, les doigts de pieds en éventail, avec l’ours en
toile de fond… Un joli rêve, en vérité !
En bon fainéant (qui s’assume), je me suis dit que c’était le métier qu’il me fallait !
Alors grâce à l’ANPE, j’ai trouvé une formation de berger rémunérée sur
Menditte, j’ai démissionné, et je me suis retrouvé en Soule, avec ma
femme, ma deudeuche immatriculée en 33, et mes meuble en formica ! ça a
beaucoup surpris mes parents, mais ils ont fini par s’y faire…
J’ai donc fait mon Brevet Professionnel Agricole, option ovins-lait
(BPO), puis mon Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation
Agricole (BPREA). Comme il fallait que je fasse un stage de 6 mois pour
pouvoir prétendre à la dotation jeune agriculteur (qui m’aurait permis
de m’installer à mon compte), je me suis mis en quête d’un maître de
stage.
Et là, le réveil a été rude. Surtout lors de la deuxième saison, à dire
vrai ! C’est ce milieu agricole « très dur » que je raconte dans «
Mauvais berger ! »
Euskobizia : Dans la souffrance
du deuxième stage, pourquoi n’avoir pas laissé tomber cette affaire ?
Perfectionniste persévérant ou masochiste ? Pourquoi n’avoir pas
envisagé un stage chez un autre employeur ?
EHB : Tout simplement parce que j’y croyais vraiment. J’étais
persuadé que je pourrais y arriver, si je supportais ces privations, ces
remontrances, ce harcèlement au quotidien. C’était un peu comme une
expérience initiatique. Un genre de test que je me devais de passer !
A un moment donné, vers le 15 août 1999, j’ai failli tout plaquer pour
rejoindre ma femme à Mauléon (C’est plus ou moins écrit en filigranes
dans le texte, mais c’est vrai que je ne me suis pas attardé là dessus).
Mais je me suis dit que si je laissais tomber, cela attiserait la thèse
que j’ai entendue pendant toute ma scolarité, et qui atteste
grosso-merdo que « je ne finis jamais ce que je commence ». Merci les
profs, dont le métier reste –encore aujourd’hui- de mouler de « bons
petits citoyens modèles » standardisés !
Alors je suis resté, par fierté. J’ai décidé d’affronter la vie, et non
de fuir en avant, une fois de plus. Je crois que c’est là, à 28 ans, que
je suis devenu un homme. Il était temps, non ?
Euskobizia : Les dessins très
bien faits… Ta passion pour le dessin ? Depuis quand, comment ? Et as-tu
des idoles dans le dessin qui t’inspirent.
EHB : Merci pour les compliments, vil flatteur!
Plus sérieusement, je suis un grand fan de Marcel Gotlib. C’est à cause
de lui si je fais des petits dessins aujourd’hui. Curieusement, je ne
sais pas si son influence se ressent dans mes gribouillis… En tout cas,
je suis très loin d’avoir son talent ! Sinon, mon enfance, adolescence
et adulescence ont été bercées par Goldorak, les comics de Marvel,
Fluide Glacial, et… Alix !
J’ai commencé à prendre plaisir à dessiner en 5ième, je crois… Mais
j’étais une vraie brelle ! J’ai persévéré, je me suis entraîné pendant
des années. Essentiellement parce que mon père avait un joli coup de
crayon, et que je voulais qu’on dise ça de moi (Mon père a écrit pas mal
de pièces de théâtre, aussi ! Mais je me vois mal l’imiter sur ce plan
là !).
En fait, je dessine tous les jours. Parfois dans l’intention de produire
quelque chose de particulier, ou sur commande, parfois parce que ça me
détend de tenir le crayon et de tracer des lignes. Depuis que j’ai
appris à utiliser les logiciels de PAO, je prends vraiment mon pied à
créer des trucs, colorier, retravailler et incrémenter dessins et
photos…
Euskobizia : Ton livre fait
référence, au cinéma, essentiellement à « la guerre des étoiles ».
Pourquoi ? Tu dis en tout cas, qu’il n’y aura pas 3 autres épisodes. Que
peux-tu me dire de plus ?
EHB : C’est certainement parce que depuis l’âge de 6 ans, je suis un
grand fan de la saga « Star Wars », comme beaucoup de gens de ma
génération. D’ailleurs, je crois que j’ai transmis le virus à mes
enfants !
Mais en réalité, c’est parce que j’ai trouvé une similitude avec le
découpage très « cinématographique » en épisodes du livre. C’est un
assemblage de plans très courts et bruts de décoffrage, de flashbacks,
de travellings liés par une trame historique qui constitue le fil
conducteur… Alors on est très loin de Tarantino, ou même de Lucas, mais
ça m’a fait un peu cet effet là, à la relecture !
Et puis encore une fois, les titres me sont apparus comme une évidence… Je n’ai pas eu à me creuser beaucoup la cervelle !
Il y a d’autres clins d’oeils, qui font par exemple référence au dessin
animé « Astérix et Cléopâtre », ou au film « the Shining », de Stanley
Kubrick, avec Jack Nicholson…
Pourquoi pas d’autres épisodes ? Parce que je pense que j’ai épuisé le
sujet, et qu’aujourd’hui, je peux affirmer que je ne serai JAMAIS berger
!
Euskobizia : Le lecteur est tout
acquis à ta cause, compte tenu de la manière dont tu as élaboré le
récit, et on sait que tu es le bon berger, à quels moments règles-tu tes
comptes avec toi-même ?
EHB : Tout le temps ! Ce livre est une remise en question
permanente. Je règle des comptes avec ma paresse légendaire, avec mes
certitudes et mes illusions, avec ma (mes) vocation(s) inachevées, avec
la vie en général. C’est un peu une excroissance de mon mode de
fonctionnement habituel, car quoi que je fasse en ce bas monde, je passe
mon temps à me remettre en question. C’est une forme de résistance à
mon égoïsme typiquement masculin, pour ne pas dire humain.
C’est épuisant, et ça demande une somme phénoménale d’énergie. C’est sans doute pour ça que beaucoup ne s’y risquent pas !
Feu “Euskobizia” était (de décembre 2004 à avril 2009) le webdo des basques d’ici et d’ailleurs (www.euskobizia.com).