Je suppose que vous savez tous ce qu’est
un tic de langage? Ce sont ces mots ou expressions du langage courant
qu’on aurait un peu trop tendance à radoter sans s’en rendre compte,
alors que tous vos interlocuteurs, eux, l’ont remarqué. Il en est même
certains (sans aucune éducation) pour vous le faire remarquer! Or,
chacun d’entre nous a ses propres tics de langage, même ceux qui voient
la paille dans l’œil de leur voisin (mais jamais la poutre qu’ils ont
dans le leur). A l’écrit, on s’en rend compte tout de suite, car les
phrases deviennent bancales et lourdingues. Mais à l’oral (et selon le
public auquel on s’adresse), ça passe souvent inaperçu.
Au lycée, j’avais une prof d’histoire (fort gentille au demeurant) qui répétait sans arrêt (et à toutes les sauces) l’adverbe “incontestablement», qu’elle déclinait aussi en adjectif (”c’est incontestable»…), et bien évidemment, tous les élèves de la classe l’avaient remarqué, et en jouaient… Certains tenaient les comptes à l’heure; d’autres -plus téméraires- tentaient malicieusement de la pousser à prononcer le fameux mot. Bref, c’était un petit jeu assez rigolo qui avait le mérite de nous tenir éveillés pendant ses cours incontestablement interminables (ça y-est, elle m’a contaminé!).
Ah oui, parce que je ne vous ai pas encore dit… Un tic de langage, c’est comme la peste ou la vérole : ça se répand sans qu’on en ait conscience! Combien d’entre vous emploient à tort et à travers l’expression toute faite “tout-à-fait!» à longueur de journée, au lieu de simplement dire “oui»? Et ceux (dont je suis) qui la remplacent par le ridicule “clair!» sont légion, je pense!
Bref, tout ça pour dire que moi aussi,
j’ai mes tics de langage. Lorsque j’étais apprenti berger dans la
magnifique montagne pyrénéenne, la seconde année, c’est mon patron
berger, Christophe*, qui un jour m’a fait remarquer avec le plus grand
agacement que je disais toujours “Ah!», à chaque fois qu’on me
demandait de faire quelque chose que je n’avais pas initialement prévu
et qui dérangeait ma routine. Il interprétait cette exclamation
-pourtant innocente- comme une preuve de mauvaise volonté, ou au pire
comme une forme avortée de contestation aux ordres.
Pourtant, je peux vous assurer que moi, je voulais juste dire quelque chose comme “Ah, d’accord, OK…», comme une affirmation plutôt que comme quoi que ce soit d’autre.
Lui, son tic de langage, c’était le mot “atypique». Un “parcours atypique», un “berger atypique»,
ça faisait bien devant les caméras de M6 et TF1… Ça m’énervait aussi
énormément cette pédanterie affectée, mais je ne lui ai jamais rien
reproché de tel. Rien à voir avec de l’hypocrisie! C’est davantage une
histoire “de tact” et de politesse, en somme…
Mais si on change de point de vue relatif, ça pourrait tout aussi bien être une histoire de caste, je suppose : la différence entre une personne qui se prend pour le roi de la montagne, et son ouvrier.
*Nom d’emprunt de l’exploitant
agricole pour lequel j’ai travaillé comme aide-berger en 1998 et 1999,
et personnage principal du livre “Mauvais berger!».
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