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Dédicace pour Mathieu Larregain. |
Avec
Laurent (Caudine), on s’était dit qu’on allait faire comme pour
Pierre Gastéréguy, une petite vidéo de présentation sympa.
Mais en fait, je ne supporte pas de me voir parler. En outre, je suis
très nul en improvisation orale : je suis hésitant, bafouilleur, et au
final, j’ai l’air d’une andouille de première. Alors ça pourrait être
rigolo, si c’était fait exprès, mais ce n’est que ridicule.
De plus, je trouve que le principe du Teaser va beaucoup mieux à un
roman que l’interview filmée. Donc voilà, je ne vais pas utiliser les
rushes de vidéo qu’on a fait à cette occasion (saint
Beau Smart
m’en préserve !), mais publier ici même une transcription exacte de ce
que j’aurais voulu que ce soit, si j’avais été vidéogénique et moins…
gogol
‽
Astobelarra : Peux-tu nous résumer en quelques mots ce que raconte ce livre ?
Etienne H. Boyer : Je dirais que ce premier tome commence comme une
histoire d’amour à sens unique et que ça se termine comme un film
d’épouvante.
Un quadragénaire solitaire tombe amoureux d’une collègue de travail qui
pourrait être sa fille. Pour l’approcher, il va essayer de se faire
passer pour un autre sur Internet. Sauf que, comme dans la jungle la
plus profonde, un prédateur est là qui l’attend et va transformer sa vie
et celle de toute l’humanité en cauchemar sans nom.
C’est un roman de gare gore, écolo-nihiliste. Je le voulais divertissant tout en restant assez engagé dans le propos.
A : Tu qualifies ton roman de
“nihiliste”. Effectivement quand on le lit on remarque qu’il n’y a pas
de vrai héros auquel on pourrait s’identifier…
EHB : La question sous-jacente posée par le roman et que je me pose continuellement, c’est “
quand va t-on enfin cesser de fabriquer les monstres qui nous conduisent à notre perte ?“.
Pour appuyer ma démonstration, je voulais décrire un monde noir et sans
espoir, comme un bourbier étouffant, glissant et sans fond, habité par
une créature cannibale à l’humour et à la bile acide.
Il fallait en outre que les personnages soient un peu fourbes et/ou
malheureux. On est dans une sorte de “quatrième dimension”, dans
laquelle je n’ai pas l’impression de m’être si éloigné que ça de la
réalité, finalement
A : Patrice Bodin un des
personnage principal. Il en bave pendant toute l’histoire. Il se
retrouve coincé dans un univers virtuel dans les méandres de l’internet.
Il doit lutter contre des entités numériques néfastes qui veulent le
détruire. Tu l’as sacrément assaisonné ce pauvre homme ?
EHB : Bon, déjà, contrairement à Mauvais berger !, L’infection
n’est pas un livre autobiographique. Néanmoins, Patrice, comme tous les
personnages de ce livre, est une empreinte subjective de plusieurs
individus que j’ai pu rencontrer dans ma vie et notamment de moi-même.
C’est donc une projection négative de moi-même (ou de ce qui me passe
par la tête) que je maltraite lorsque j’estropie Patrice ou lorsque je
tue telle ou telle autre personne, dans des conditions horribles le plus
souvent.
De même et mis à part ceux qui sont nommément cités (comme Niko Etxart,
par exemple), aucun des personnages n’incarne une personne existant
réellement.
A : Il y a aussi Beau smart une
“intelligence artificielle” qui prend possession du corps de Patrice.
Beau Smart n’a aucune humanité… Bon je n’en dis pas plus pour ne pas
dévoiler l’intrigue, mais peux-tu nous expliquer quelle est ta
motivation pour écrire ce roman, assez misanthrope au demeurant ?
EHB : Un jour que j’avais trop abusé de caféine, je n’ai pas réussi à
m’endormir le soir. Et lorsque, enfin, j’ai pu sombrer dans les bras de
Morphée, toute la trame du livre m’est apparue en rêve. Je ne rentrerai
pas dans les détails, mais je t’avouerais que beaucoup de choses
pénibles se télescopaient dans ma tête, à l’époque. Si tu pouvais les
interroger, mes camarades de classe te diraient que j’ai toujours été un
brin misanthrope. Mais là, j’en voulais à la terre entière autant qu’à
moi même. L’infection, c’est clairement un exutoire, une façon
de me purifier le cerveau de toutes mes idées noires, de mes colères, de
mes frustrations du moment. C’est en quelque sorte mon auto-exorcisme !
A : Tout à l’heure je disais que
tu qualifiais ton roman de “nihiliste”. Mais tu le qualifies aussi
“d’écologiste”. Peux-tu préciser?
EHB : Tu as noté que L’infection, c’est en quelque sorte une
métaphore de l’humanité et de ses travers. Tu vois, par exemple, on sait
pertinemment que la production d’énergie nucléaire peut créer des
monstruosités non-maîtrisables comme Tchernobyl ou Fukushima. Or tout,
dans notre société, de notre système économique à la gestion
administrative, est entièrement dépendant de l’électricité. Tout ce
château de carte peut s’ébranler en quelques secondes, à la moindre
inattention, au moindre accident. Pourtant, on continue à écouter
religieusement les élus à œillères, manipulés par les lobbies du fric,
qui font la promotion de l’idéal sociétal occidental actuel comme si
leur vie en dépendait. Si on les écoute, “il n’y a pas d’autre
solution”. Pourtant, les alternatives existent. Il suffirait d’y
réfléchir vraiment…
Ceux qui se sentent visés par leurs critiques accusent souvent les
écologistes d’être des ayatollahs catastrophistes, de prédire la fin du
monde dès qu’on coupe une marguerite, etc. C’est le contraire, bien sûr.
En voulant sauver la planète, les écologistes veulent d’abord sauver
l’homme.
Dans L’infection, j’assume parfaitement mon côté nihiliste et je pose la question : “pour sauver la planète et les merveilles qu’elle abrite, faut-il détruire l’humanité (ou la laisser s’autodétruire)“? C’est cela, l’autre thème sous-jacent de ce roman.
A : As-tu des inquiétudes
particulières en ce qui concerne les mondes virtuels et les diverses
technologies auxquelles nous sommes soumises ?
EHB : C’est une question qui pue un peu, ça ! Bon, autant le dire tout
de suite : je travaille dans le milieu du web (au sens large du terme)
depuis trois ans et demi, ce qui n’est pas sans me poser quelques cas de
conscience, de temps à autres. Précisons que, comme tout écologiste –
convaincu – qui se respecte, je suis bourré de contradictions : je suis
écœuré par l’envahissement, l’aliénation, la médiocrité véhiculés par un
grand nombre de nouvelles applications TIC, dont la majorité n’a pour
but que de faire davantage de commerce, de profit, etc. Ce qui
m’angoisse, surtout, c’est qu’il y a toujours des petits malins pour
dévoyer les inventions les plus utiles et les intentions les plus
louables, qui seraient censées améliorer l’ordinaire.
Mais en même temps, je suis fasciné par le progrès et la technologie,
qui, s’ils sont utilisés avec humanisme, peuvent vraiment aider à
l’amélioration de la société. Il suffit de voir de quelle façon
tunisiens et égyptiens ont utilisé Twitter, lors de la “révolution de
jasmin”, pour en être persuadé.
Je suis convaincu que les univers virtuels peuvent aussi trouver leur
utilité, notamment dans l’aide au traitement de certains désordres
psychologiques comme l’agoraphobie, entre autre.
C’est aussi de cela que je parle, en filigrane, dans L’infection. En résumé : tout n’est pas tout noir, tout n’est pas tout blanc…
A : Il y a beaucoup de référence
au cinéma. Notamment le cinéma d’action américain ou la
science-fiction. Tu peux nous dire quels sont tes livres, films cultes ?
EHB : Je suis un enfant des années 70. J’ai été bercé par le cinéma
fantastique de ces années là. On retrouve très certainement des idées
développées dans des films célèbres comme The Shining, Terminator, Cube,
Matrix, Kamikaze, la Machine et autres Hidden dans L’infection.
La culture geek, issue des comics américains et des jeux de rôles est
aussi très perceptible dans le roman. Et puis concernant la littérature,
on ressent probablement l’influence de Stephen King et autres auteurs
fantastiques contemporains dans mes écrits. Davantage sur le fond
(l’histoire) que sur la forme (le style), je suppose.
Je me retrouve aussi dans Les idées noires, de Franquin.
A : L’intrigue du livre se passe
en Soule. Il est fait référence à des évènements politiques, des lieux
que tout le monde connaît… C’était important pour toi d’écrire un roman
qui se déroule ici ?
EHB : D’abord je souhaitais ancrer ce premier tome dans une réalité
locale et rurale, de façon à ce que “monsieur tout le monde” puisse se
sentir concerné. La Soule s’est imposée d’elle même à moi : j’adore ce
petit coin de paradis, cette émeraude chatoyant de mille verts qui m’a
accueillie il y a une quinzaine d’années. C’est mon chez-moi et je n’en
voudrais pas d’autre.
J’ai voulu montrer ses aspects positifs : sa beauté, sa culture, la
nature… mais aussi ce que je considère comme ses aspects négatifs : le
Wimax, “la voie de Soule”, le paternalisme d’un certain patronat, le
cynisme de certains élus locaux, le productivisme d’une certaine
agriculture…
Bref, j’ai voulu montrer que cet Eden était fragile, en équilibre
précaire et qu’un rien pouvait l’anéantir. Une mauvaise décision
politique, et c’est “l’enfer sur terre”.
C’est un peu caricatural, c’est vrai, car il faudrait une somme
considérable de mauvaises délibérations pour que tout le système plante,
mais j’ai toujours trouvé que la caricature ouvrait plus facilement des
portes sur l’inconscient collectif. Un bon dessin de presse a bien plus
de pouvoir qu’un mauvais débat de l’entre deux tours, sur BFMTV…